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Critique

Tact d’état civil

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La valeur morale et politique de la politesse interrogée par les esprits des Lumières
publié le 30 octobre 2013 à 18h26

Ça n'a l'air de rien : «Après vous, je vous en prie.» Mais Emmanuel Levinas y voyait la quintessence même de l'éthique, ou l'affirmation de son premier principe : la préférabilité absolue de l'autre. «Après vous, je vous en prie» : ne croit-on pas au contraire qu'une simple formule de politesse ne fasse que singer la morale ? La politesse ne serait rien d'autre, au fond, que «l'art de se passer des vertus qu'elle imite». Elle n'est point indigne, certes : si elle ne fait pas le bien, comme la sincérité, elle se révèle incapable de faire le mal, sauf, si, délibérément, elle masque l'hypocrisie. Mais, de prime abord, elle semble avoir une vocation modeste, qu'on pense en général pouvoir négliger, et que l'on considère seulement lorsqu'elle tourne en son contraire, grippe ou «barbarise» les liens sociaux et ne permet plus «une vie décente fondée sur la coexistence des individus, sans prétendre pour autant à un raffinement supérieur».

Urbanité. Emile Durkheim, Georg Simmel, Norbert Elias ou Erving Goffman se sont déjà appliqués, pourtant, à en montrer les fonctions sociales, sinon politiques. Et les Lumières, à la civilité, à la politesse, aux «manières», ont donné une portée morale inouïe, ainsi qu'une «densité philosophique radicalement nouvelle». Comme l'a dit Marcel Gauchet, «il n'est pas écrit dans les constitutions démocratiques qu'il est nécessaire d'être poli envers ses voisins, mais on voit bie