La langue d'un écrivain n'est pas celle des hommes qui l'entourent. C'est celle qu'il invente pour les révéler et les trahir. Junot Diaz parle espagnol quand il voyage pour la première fois de Saint-Domingue à New York avec sa mère, le 8 décembre 1974. Mais il le lit à peine. Il va avoir 7 ans, il a cinq frères et il n'a lu aucun livre. L'anglais lui est inconnu. Elevé surtout par ses grands-parents, il a grandi dans un quartier populaire de l'île, Villa Juana, «mélange purement dominicain de pauvres, de travailleurs pauvres, d'ouvriers et de petits entrepreneurs».
Là-bas, son grand-père vend des billets de loterie et sa mère travaillait dans une chocolaterie. Lui, de 17 à 27 ans, il va livrer dans le New Jersey des billards pour payer ses études. Une nouvelle non traduite, «Edison, New Jersey», est inspirée par ce boulot qui lui a cassé le dos. L'entretien a lieu dans une cafétéria new-yorkaise sinistre, dont la blancheur et les rondeurs psychédéliques rappellent le décor d'Orange mécanique. Junot Diaz parle debout, car une opération du dos l'empêche de s'asseoir. Le billard ? «Ça m'enchante. Mais une quille, même devenu fou, je n'y toucherais pas.»
En 1974, son père est ouvrier aux Etats-Unis et habite près de Staten Island, non loin de New York. Il conduit des chariots élévateurs, multiplie les petits boulots. Son fils, qui ne le connaît pas, croit quitter les tropiques pour rejoindre un héros sur une planète enrichie qui serait comme le paradis.