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Libération
Critique

Le vieil homme et l’enfant

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Le chemin de la judéité selon Frank Eskenazi
publié le 6 novembre 2013 à 18h06

La vie de Frank Eskenazi a basculé dans une rue banale de l'est parisien alors qu'il venait d'avoir 12 ans. Il sortait du lycée Paul-Valéry et remontait «la triste rue Rottembourg» en chahutant avec ses copains qui se hélaient par leur nom quand un vieil homme «terrifiant et magnifique» s'arrête à sa hauteur. «Eskenazi, tu es catholique ?» L'adolescent reste figé, tétanisé. «Est-ce que je suis catholique ? Non, ça au moins je le sais. Je ne peux me défaire de ses yeux. En silence, je secoue la tête. Son sourire dévore tout. […] Il tend la main et me caresse la joue. Moi qui ne manque pas d'amour, on m'a rarement touché de façon aussi aimante. "Tu es juif." […] Doucement, il retire sa main et reprend son chemin.»

Telle est la première scène de ce court et poignant récit autobiographique. Scène fondatrice car elle marque, en quelques mots, la transmission d'une identité. «Ainsi, il est possible qu'une personne que je n'ai jamais vue, et que je ne reverrai jamais, se sente liée à moi parce que je suis juif. Il l'est donc aussi. Ainsi, ce n'est pas qu'un mot, il s'agit de quelque chose de bien plus mystérieux. Une densité, une promesse aussi, celle de devenir vieux et beau, comme une responsabilité.» L'instant est d'autant plus fort que, quelques secondes avant de disparaître, le vieil homme lance au jeune garçon : «Sauras-tu en faire autre chose qu'un mot ?»

On imagine aisément comme la vie d'un homme peut être bouleversée par