Maître de conférences en sciences politiques à l'IEP de Lyon, Philippe Corcuff vient de publier Polars, philosophie et critique sociale (avec des dessins de Charb, éditions Textuel). Il y propose une lecture singulière de la tradition du polar américain : du noir vers le gris.
«Ce monde ne sent pas très bon mais c’est celui où l’on vit», écrit Raymond Chandler dans The Simple Art of Murder (1950). En quoi cette phrase, et plus largement les romans de cet auteur, intéressent-ils le sociologue et philosophe que vous êtes ?
Cette remarque de Chandler nous mène au centre des intersections entre la portée philosophique et la portée sociologique-critique du roman noir américain.
Portée philosophique, car si ça «ne sent pas très bon», cela pose à la fois des questions afférentes au sens de l’existence humaine et aux réactions morales vis-à-vis des aléas et des déboires de la quête du sens. Mais aussi portée sociologique-critique, car ces interrogations existentielles et ces sentiments moraux se situent dans les sociétés «où l’on vit», vues à travers des lunettes critiques dans leurs inégalités, leurs corruptions et leurs désordres divers, voire leur pourriture.
D’emblée, le polar américain formule, dans le registre littéraire qui lui est propre, le problème philosophique classique du sens et de la valeur de la vie, mais il le fait à la manière des sociologues critiques. Non pas comme une interrogation intemporelle, mais dans des contextes sociaux et historiques précis, avec le scalpel de la critique sociale.
Philip Marlowe est l’archétype du héros de romans noirs américains, en quoi se distingue-t-il de ses collègues européens ?
Marlowe de Chandler, comme avant lui Sam Spade de Dashiell Hammett ou, dans le sillage de Chandler, Lew Archer de Ross Macdonald (opportunément réédité par les éditions Gallmeister), s’inscrit dans un autre cadre soc