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Interview

Nicolas Werth: «S’ils restaient chez eux, les gens crevaient; d’inanition, mais aussi d’isolement»

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Entretien avec l’historien qui a préfacé «le Journal de Léna».
Une photo de classe de 1941 avec Lena Moukhina au dernier rang (troisième en partant de la gauche). (Photo Azbuka. AFP)
publié le 12 février 2014 à 17h36


Nicolas Werth, qui a préfacé le Journal de Léna, est historien et spécialiste de l'URSS. Il a un lien familial avec Leningrad. Son père est né dans la ville et l'a quittée à 17 ans, quand il a émigré en Ecosse ; travaillant pour la BBC, il a été le premier et le seul journaliste occidental à entrer dans la ville pendant le siège. Quant à la tante de Nicolas Werth, médecin, elle n'a pas quitté Leningrad pendant le blocus.

Votre histoire familiale passe par Leningrad ?

La famille de mon père appartenait à la grande bourgeoisie, mon grand-père était un proche collaborateur du ministre Witte [ministre des Finances de Nicolas II, ndlr] et un grand administrateur du réseau des chemins de fer transsibérien. C'est pour cette raison que la famille a émigré en Ecosse : il avait des liens privilégiés avec Glasgow, capitale mondiale de la construction ferroviaire. Quand la famille a quitté la Russie en 1918, mon père avait 17 ans et sa sœur, 22 ans. C'est la seule de la famille qui soit restée, courageusement, elle était engagée dans ses études de médecine.

J'ai rencontré ma tante en 1964, j'avais 14 ans. J'étais avec mon père qui n'avait pas eu de ses nouvelles pendant longtemps. Elle avait eu une existence assez dramatique : alors qu'elle était médecin, en 1934, après l'assassinat de Kirov, tous les gens comme elle, les «gens du passé» (issus des classes intellectuelles, bourgeoises ou nobles), étaient très mal vus, même s'ils s'étaient ralliés au nouveau régime. Elle a eu droit au traitement classique : l'exi