Que peut être un roman d’apprentissage, quand l’apprenti prétend n’être dupe de rien ? Gavé d’informations et saturé d’amour-propre, l’apprenti contemporain est un enfant gâté de La Rochefoucauld. Il erre dans le souci de soi, porté par une volonté tatillonne de contrôler son image, plus malin et faussement modeste que n’importe qui. Il s’aime trop, ne s’aime pas. Il a plus de souvenirs que s’il avait 1 000 ans, mais ce ne sont pas les siens. Quand il vient d’Amérique, ce nombril du monde, ça se complique encore : comment peut-on être américain lorsqu’on est à l’étranger ?
Au départ d’Atocha,
première fiction du poète Ben Lerner, est un roman d’apprentissage américain contemporain.
Il raconte l'histoire qu'il réfléchit : celle d'un jeune poète du Kansas bénéficiaire d'une bourse, Adam Gordon, qui s'installe à Madrid en 2003 et se promet «de ne jamais écrire de roman». Les promesses nous soutiennent, mais on ne les tient pas. L'aventure momentanée d'Adam finit après les attentats islamistes du 11 mars en gare d'Atocha. Ce qu'il vit alors, c'est ce qu'il voit dans Madrid, mais aussi ce que les écrans mondiaux en montrent : «J'ouvris une nouvelle fenêtre de navigation, sur le site du New York Times, je cliquai sur le gros titre. L'article parlait des hélicoptères que j'entendais dans le ciel.» Adam n'est plus un ingénu que le monde dépucèle. C'est un parvenu que son moi pris dans les reflets ensorcèle. En résumé, un baroque égotiste, alerte et