Il écoute Istanbul les yeux clos comme le défunt poète Ohran Veli, qui mieux que tout autre exprimait les voix de la métropole du Bosphore, les cris des mouettes, les grincements des pontons, le halètement des «vapur» (les ferries), les cris des artisans des bazars. Le livre de Sébastien de Courtois est inclassable, tout à la fois guide, témoignage et récit au travers d’une longue errance intimiste dans cette mégalopole à la charnière de deux continents. Une ville de plus de 15 millions d’habitants, tout à la fois capitale dynamique et solaire, cœur d’une «movida» d’une Turquie s’affirmant comme une nouvelle puissance régionale émergente, et en même temps cité imprégnée du «hüzün», la mélancolie, cette humeur noire flottant sur les ruines des empires défunts, que raconte le romancier et prix Nobel Orhan Pamuk, comme lui
«guetteur de la beauté accidentelle».
«Si l'esprit de nostalgie est bien présent dans d'autres villes d'Europe, ici, à Istanbul, il atteint un sommet, une évidence tangible, au point qu'on en fait même un argument commercial pour attirer les chalands du monde entier», note l'auteur qui commence sa longue flânerie par les îles aux Princes, dans la mer de Marmara, concentré d'un monde disparu, celui des «minoritaires» - Grecs, Juifs et Arméniens - qui avaient élu chacun la leur comme lieu de résidence estival pour fuir l'étouffante moiteur de la cité. Il s'est installé à Büyükada, la plus grande, avec ses magnifiques maisons de bois, interdite t