Quiconque n'a pas mangé bœuf, chorizo et boudin cuits au barbecue par 40 degrés à l'ombre ne peut sans doute pas tout à fait apprécier certains aspects de la littérature argentine. C'est une affaire de cœur aux saveurs bien saisies, dans des vapeurs d'absurde, au cœur de cet espace clos et lointain qu'est le patio. C'est dans le sien que Sergio Bizzio, 57 ans, écrivain et cinéaste, prépare ce soir d'été un asado, tandis qu'on discute. On est à Buenos Aires, à l'arrière de la maison qu'il partage avec sa compagne Lucia Puenzo, fille du cinéaste Luis Puenzo, elle-même écrivain et cinéaste (1). Le quartier de Colegiales est paisible : arbres partout, petits restaurants, peu de commerces, silence et pas de circulation. Bizzio a vu la veille un vieux documentaire où Andy Warhol, grippé, répond d'une voix implacablement fluette au journaliste qui l'interroge avec une admiration bavarde : «Comme j'aimerais que vos paroles puissent sortir de ma bouche…»
Celles de Bizzio ne peuvent guère sortir que de la sienne. Par exemple, lorsqu’il évoque ce souvenir des années de dictature : «Nous, écrivains, nous allions chaque jour dans un bar de Buenos Aires, La Paz, au centre-ville, l’un des endroits où nous nous sentions encore à peu près libres. Un jour, il y a eu une manifestation et l’armée a chargé. Soudain, un militaire est entré dans le bar à cheval. C’est l’une des images les plus terrifiantes que j’ai jamais vues.» Velazquez en direct sous le général Videla : il