Sans doute lancerait-on un regard goguenard à qui dirait : «Je lis des traités de philosophie pour savoir où j’habite.» On lui conseillerait Google Maps ou Plans. Sauf si, d’emblée, on entendait dans son propos quelque chose du genre : où habite «Je», où demeure le Moi, où siège l’âme, où se trouve ce «for intérieur» qu’un
lapsus calami
significatif fait souvent écrire «fort», fortin, forteresse ? Dès lors, la lecture d’un bel ouvrage de philosophie, tel que
l’Espace intérieur
de Jean-Louis Chrétien, professeur à la Sorbonne, se révélerait utile.
La question est en effet difficile, et ne vaut la peine d'être traitée que parce qu'elle cache celle de savoir non où nous sommes mais qui nous sommes, et la possibilité même d'y parvenir. Elle exige, au préalable, que l'on admette, si l'être est temps, qu'il y a, en dehors de toute localisation organique, un espace intérieur : on se contentera, en renvoyant aux précédents livres de Chrétien - notamment la Joie spacieuse - de noter que l'esprit, s'il n'est pas lui-même une «chose étendue», dirait Descartes, ne se saisit qu'à travers ses actes et ses expressions déployés dans l'espace, et que l'affectivité elle-même «ne peut se comprendre que spatialement : l'angoisse resserre, contracte et pétrifie, la joie et l'espérance élargissent, dilatent, mobilisent».
Evidente est en revanche l'opposition entre le dehors du corps propre, le monde des couleurs si on veut