Cet article a été réalisé dans le cadre du «Libé des écrivains».
L’orphelin le plus célèbre de Chine débarque en France après sa création en 1935 : San Mao le petit vagabond, chef-d’œuvre du dessinateur de presse Zhang Leping (1910-1992). Adapté plusieurs fois au cinéma, vedette d’un musée dans son pays natal, ce grand personnage populaire n’en reste pas moins méconnu sous nos latitudes. Injustice réparée dans un superbe album au format à l’italienne qui nous fait découvrir, à travers un choix de strips muets imprimés en bleu marine, les tribulations d’un gamin d’une dizaine d’années dans le Shanghai des années 40, le «Paris de l’Orient», concession internationale peuplée de misérables et parfois de jolies femmes cosmopolites surgissant en Buick ou en rickshaw.
Le corps burlesque de San Mao fait immédiatement songer au Kid de Chaplin, en plus traumatique : il évolue pieds et torse nus, ses côtes sont saillantes, une cordelette lui sert de ceinture mais il a l'épaisseur d'un fakir - le burlesque n'aime pas les corps convenables. San Mao le rachitique avec sa houppette de «trois cheveux» - le sens de son nom en chinois - est l'exact contemporain de Tchang, l'orphelin ami de Tintin dans le Lotus bleu et… du Jim de James Graham Ballard dans Empire du soleil, l'enfant solitaire témoin de l'invasion de Shanghai par les Japonais fin 1941 - ce que ne manque pas de souligner Nicolas Finet dans sa remarquable préface. Nous avions le point de vue sur Shanghai