Quand on ne dort pas, qu’est-ce que la nuit ? Une clarté dure et agitée, faite de souvenirs. Ils s’invitent, ils ont faim : des cadavres dans nos placards, plus vivants que les vivants. Leur précision nous emporte et nous isole de tout.
Voici la chanteuse Billie Holiday, à New York, vers 1943: «Elle était grosse la première fois que nous l'avons vue. Massive, extraordinairement belle, et grosse. En cet instant unique, jamais retrouvé, elle avait presque l'air d'une mère de famille, un être réel et sensé qui déposait son argent à la banque, signait des papiers, possédait des rideaux assortis, des robes rangées dans la penderie et des paires de souliers, dorés et argentés, noirs et blancs, toutes prêtes. Apparition surprenante, trompeuse, folle, parce que jamais aucune femme ne fut moins épouse ou mère, ne s'attacha moins qu'elle. Difficile même d'imaginer qu'elle pût avoir des parents, être leur fille. Non, elle était éclatante, sombre et solitaire, encore que jamais seule, bien entendu, jamais. Imposante, sinistre et résolue.» Et ceci, parmi dix autres traits : «Une tendance au châtiment, issue de ses expériences passées, la contraignait à vivre de façon grégaire, mais sans le moindre échange affectif.»
Apparition. Aucun des hommes, des couples et avant tout des femmes qui habitent Nuits sans sommeil, publié par Elizabeth Hardwick en 1979, ne fera grâce au lecteur du moindre oubli : ni le docteur Z., éternel mar