«Je festoye & caresse la verité en quelque main que je la trouve…», écrivait Montaigne (Essais, III, 8). Mais souvent la main qui la détient se ferme en poing d'acier et la retient, ou au contraire s'ouvre trop largement et la laisse échapper. Il est alors si malaisé de savoir où elle est passée que chacun, de bonne ou mauvaise foi, déclare la posséder et accuse tout autre de n'avoir en mains qu'illusions, erreurs ou mirages. De là sourdent, dans les meilleurs des cas, discussions et confrontations, dans les pires, querelles, controverses et altercations. L'effet peut être délétère : «Nous n'aprenons à disputer que pour contredire, et, chascun contredisant et estant contredict, il en advient que le fruit du disputer c'est perdre et aneantir la vérité.» Mais est-ce si sûr ? Toute guerre à coups d'arguments, même violents, est-elle mortelle pour la vérité ou la liberté ? Quel est dans ce cas le statut de la polémique - qui porte justement la guerre (polemos) en son nom, et promeut le dissensus quand le consensus est glorifié comme paix sociale ?
Professeur émérite à l'université de Tel-Aviv, où elle a dirigé le département de français, rédactrice en chef de la revue en ligne Argumentation et analyse du discours, Ruth Amossy, dans Apologie de la polémique, montre que loin d'être un échec de la communication, le débat public, houleux, exacerbé, continuellement orchestré et attisé par les médias, est malgré tout une «mo