Son père tenait à ce qu’il fût un prodige, un génie, un Pic de la Mirandole, comme d’autres veulent que leur enfant soit vétérinaire ou footballeur. Né en Russie tsariste, à Byelostok, dans une famille juive polonaise, Leo Wiener était arrivé à la Nouvelle-Orléans en 1880. Il avait commencé des études de médecine à Varsovie, puis, à Berlin, s’était orienté vers l’ingénierie. Aux Etats-Unis, il avait exercé tous les métiers, ouvrier d’usine, fermier, maître d’école, colporteur, enseignant de lycée, puis, autodidacte, était devenu professeur de langues germaniques et slaves à Harvard. C’était un homme d’une immense culture, allant des
humanities
aux mathématiques, connaissant près d’une vingtaine de langues, qui écrira des dizaines d’ouvrages savants, et traduira en anglais 24 volumes de l’œuvre de Tolstoï.
Norbert, le fils qu'il a avec Bertha Kahn naît le 26 novembre 1894. L'enfant semble doué, apprend à lire à trois ans, déclame à cinq la prose des maîtres grecs et latins, et Leo l'éduque à la maison, lui enseigne les mathématiques, la chimie, la physique, la zoologie, six ou sept langues, dont le chinois, lui fait apprendre des ouvrages de Darwin par cœur… Il le confie quand même, lorsqu'il a sept ans, à la Peabody School de Cambridge (Massachusetts), où, en quelques mois, il passe de l'équivalent du CE1 au CM2. Mais pour le père ce n'est pas assez. Il lui fait lire tellement de livres que l'enfant devient presque aveugle. Inscrit au lycée, il saute en un an quatre cl