
Un beau jour, ou plutôt au crépuscule, il est rentré chez lui. Entre chien et loup, quand on y voit suffisamment pour se passer de lumière artificielle, et juste ce qu’il faut pour n’être qu’une ombre méconnaissable. En janvier 1917, il a écrit une dernière lettre à sa femme, Jeanne :
«Je veux que tu viennes pas.»
Jusqu’alors, depuis sa mobilisation en août 1914, il lui avait envoyé beaucoup de courrier, de mots adressés à
«ma petite chérie. Ils disaient Je t’écris. Ils disaient Je t’écris pour te donner de mes nouvelles, et n’en donnaient jamais vraiment. Les mots avaient bien reçu le colis avec le tricot, les chaussettes, le pâté. Les mots étaient en bonne santé, ils espéraient que Jeanne et la petite l’étaient aussi. Les mots cherchaient les ressouvenances de la vie d’avant. Ils disaient le ciel est très bleu».
Tranchées. Les mots, Angélique Villeneuve les emploie avec infiniment de grâce, à l'économie, pour raconter l'indicible : un soldat de la Grande Guerre rentre chez lui, le visage en charpie. Toussaint, une «gueule cassée» parmi tant d'autres mutilés victimes de ces pluies d'obus balancés dans les tranchées, tombant comme à Gravelotte, pour emprunter l'expression née de la guerre d'avant, celle de 1870. «Je veux que tu viennes pas» a été expédié de l'hôpital du Val-de-Grâce, où toutes ces «gueules cassées» passaient, parfois quelques années, entre les mains des chirurgiens chargés de les réparer.
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