Catherine Millet est une truite lente et circonspecte qui remonte les eaux noires et froides du temps - ce qu’elle appelle sa «bouillie refroidie». Ses coups de nageoire sont amples, adaptés et précis. Ils rendent transparentes les eaux qu’elle traverse, épouse et montre avec une passivité de fer. «On a l’âge du spectacle que l’on regarde», écrit-elle. Rétrospectivement évoquée par une femme à la fois libre et bourgeoise, sa vie est donc avant tout un spectacle qu’elle donne à voir. La vue est le sens qui paraît s’être développé à mesure que les autres s’atrophiaient. On comprend tout par elle, mais on ne sent rien, on n’entend presque rien, on ne touche et ne goûte que pour mieux exténuer dans les livres de Catherine Millet - dans celui-ci comme dans les autres. Ce sont des chambres claires, mais sourdes. L’intensité naît de l’observation, de l’intelligence, de l’éloignement. Pourquoi ?
Il y a treize ans, la Vie sexuelle de Catherine M. (1) décrivait l'installation expérimentale et répétitive que fut la part orgiaque et échangiste de sa vie : c'était brillant, méthodique, libertin et d'une religiosité rentrée, tranquillement dépourvu de complaisance et de vulgarité. En 2008, avec Jour de souffrance (Flammarion), elle remonte de l'action vers la psychologie, étudiant la jalousie amoureuse qu'elle a endurée. Une enfance de rêve semble être né sur le divan pour un lecteur qui pourrait - presque- être son analyste, comme l'était