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Libération

La prisonnière de l’enfer : Jean Rhys

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publié le 25 avril 2014 à 18h06

Dans son autobiographie inachevée, Souriez, s'il vous plaît (1), la romancière anglaise Jean Rhys (1890-1979) fait un étrange aveu : «J'ai le devoir d'écrire. Si je cesse d'écrire, ma vie n'aura été qu'un échec atroce. Pour les autres, déjà, c'est un échec. Mais pour moi, elle risquerait de devenir un échec atroce. Je n'aurais pas gagné ma mort.» Comme si, loin d'être la défaite inéluctable de chaque être humain, mourir était, au contraire, une sorte de «récompense».

La vie était peut-être pour elle un tel fardeau - personne n’a chanté d’une manière si émouvante les ténèbres de l’existence ordinaire que Jean Rhys - que mourir était un soulagement. Sauf qu’il fallait le mériter. Comme si sa douleur d’exister venait du fait qu’elle se sentait contrainte d’accomplir quelque chose pour avoir le droit de mourir, de se reposer.

Cette Anglaise, qui haïssait obsessionnellement l'Angleterre, était persuadée que certaines personnes naissent en enfer et que le droit de le quitter était un privilège réservé à très peu d'entre elles. «L'enfer de ceux qui cherchent, qui se débattent, qui se révoltent. Le paradis de ceux qui n'ont jamais appris à réfléchir, ou qui évitent de réfléchir, ou qui n'ont pas du tout d'imagination», écrit-elle.

Cette conviction explique sans doute que Jean Rhys soit morte à presque 89 ans en dépit d'une vie noyée dans l'alcool, dans la misère et de terribles chagrins. Elle publia cinq romans avant guerre qui passèrent inaperçus. Puis plus