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Critique

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Le cahier Livres de Libédossier
Pascale Hugues retrace l’histoire de sa rue de Berlin à travers ceux qui l’ont habitée.
publié le 14 mai 2014 à 18h06

Prendre une rue, la sienne, celle que l'on voit sans y songer du haut de son balcon, du pied de son immeuble - une rue allemande tranquille, fadement bourgeoise. La regarder soudain comme on toise un matin son reflet dans le miroir. Inspecter le bric-à-brac familier de ses immeubles wilheminiens aux renflements orgueilleux cousinant avec les bas blocs gris bâtis dans les béances des bombes, ses tags «Fuck» et «Nazis raus», ses pancartes mesquines appelant à «la tranquillité», buter sur son «trou de bille» - un impact d'obus -, écouter ses potins - le suicidé, l'assassin -, les bruissements aimables des voisinages de cages d'escalier, observer le petit vieux qui salue à l'ancienne en soulevant son chapeau. Rêver enfin devant l'énigme : ce grand corps minéral est ridé de rêves et de cicatrices. Ses façades, ses arrière-cours, ses conversations, ses chaussées sont hérissées des affleurements du passé.

Cette rue est à Berlin, côté ouest. C'est celle où vit depuis vingt ans Pascale Hugues, journaliste française. Une rue «interchangeable», écrit-elle, l'anonymat sied à cette travée qui n'a connu aucune célébrité à la différence de ses voisines, fières de Freud et Wilhelm Reich.

Euphorie. Surgie en 1904 sur des terres agricoles du village de Schöneberg, elle est l'un des axes d'un quartier conçu pour loger, sous les hauts plafonds d'immeubles de rapport, la nouvelle classe fortunée de la capitale impér