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chronique

Lettre à mon juge

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publié le 14 mai 2014 à 18h06

Avant de mettre fin à ses jours, le meurtrier héros de Lettre à mon juge, de Simenon, entame son texte d'adieu par ces mots : «Je voudrais qu'un homme, un seul, me comprenne. Et j'aimerais que cet homme soit vous.» On aime bien être compris, dans ces moments-là. Mais le fait est que les survivants y parviennent rarement, à comprendre.

S'il ne s'était pas suicidé, s'il avait mené une vie saine, s'il s'était accommodé de cette époque peu accommodante, Romain Gary aurait eu 100 ans la semaine dernière. On serait allé le voir. Il nous aurait parlé de sa mère. Ce fils unique aurait dit, citant la Promesse de l'aube : «Il vaut mieux que les mères aient encore quelqu'un d'autre à aimer. Si ma mère avait eu un amant, je n'aurais pas passé ma vie à mourir de soif auprès de chaque fontaine. Malheureusement pour moi, je me connais en vrais diamants.»

Au lieu de quoi Romain Gary s'est tiré une balle au fond de la gorge, dans l'après-midi du 2 décembre 1980. Ce n'était pas la première fois qu'il s'introduisait le canon d'un revolver dans la bouche, mais c'était la première fois qu'il tirait. «Pour la presse. Jour J. Aucun rapport avec Jean Seberg [sa compagne, morte l'année précédente, ndlr]. Les fervents du cœur brisé sont priés de s'adresser ailleurs. On peut mettre cela évidemment sur le compte d'une dépression nerveuse. Mais alors il faut admettre que celle-ci dure depuis que j'ai l'âge d'homme et m'aura permis de mener à bien mon œuvre littérair