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Libération
Critique

Le moment et la putain

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D’Alban Berg à Chester Brown, l’«être» du client par le philosophe Laurent de Sutter.
(Photo Nils Hamerlinck. Flickr)
publié le 4 juin 2014 à 18h06

On dira : ce n’est pas politiquement correct. Un point de vue masculin. Encore qu’il y ait des femmes qui consomment des prostitués, mais on en entend relativement peu parler. C’est comme si «la putain» (ou le putain, en version gay) ne faisait bavarder que le genre masculin.

On regrette de ne pas être une femme pour comprendre autrement cet essai qui, comme toute métaphysique, s'occupe de l'être. Non pas celui de la putain, mais celui de son client : «Passer un moment avec une putain, c'est passer un moment avec soi-même - comme, à nouveau, on passerait un moment face à un miroir : on y est nu, on y est confronté à son propre désir. Passer un moment avec une putain, c'est dérailler de l'ordre par lequel un être humain tente de constituer le narcissisme un peu bêta qui lui permet de ne pas s'effondrer à chaque coin de rue.»

Rencontre. D'entrée, Laurent de Sutter prévient qu'il n'y aura pas ici les habituelles considérations sociologiques ou morales sur la «question» de la prostitution. Et, de fait, c'est beaucoup moins de la prostituée réelle qu'il s'occupe que de l'absente de tout bordel, pourrait-on dire, la «putain» littéraire ou cinématographique, de Godard et Goya jusqu'au bédéiste Chester Brown et ses Vingt-Trois Prostituées  (2011) en passant par la Lulu d'Alban Berg écrivant à Adorno. La putain, comme la vérité,