Cachées derrière les rideaux d'une calèche qui traverse Istanbul en ce début de soirée du 8 janvier 1906, deux jeunes femmes se serrent l'une contre l'autre. Elles ont déjà quitté leur tcharchaf, ce lourd voile noir, atour obligé de toute femme turque musulmane sortant de chez elle. Vêtues à l'européenne, elles ont dans leurs sacs des papiers français donnés par une amie, Marcelle Szumlanska-Weissen, fille de leur professeur de piano. Arrivées à la gare de Sirkeci, au bord de la Corne d'or, elles passent sans problème les contrôles et montent dans le train qui, chaque jour, relie la capitale ottomane à Paris, quelque 3 200 kilomètres en soixante heures de voyage. Zennour, 20 ans, est mariée depuis peu. Nouriye, 18 ans, sa sœur, ne l'est pas encore. «Des années durant nous avions rêvé à ce moment», racontera la plus jeune, qui a caché sur elle un minuscule pistolet, bien décidée à se tuer plutôt que d'être arrêtée : «Si nous sommes découvertes, il n'y aura pas de pardon pour nous ; point de justice, point de clémence, ce sera la mort, et quelle mort.» Le train s'ébranle, bientôt elles seront libres. Cette évasion du harem ne fut pas la seule, mais incontestablement la plus médiatisée de l'avant-guerre.
L’Europe passionnée
«Cet acte privé est devenu un fait divers public puis une affaire d'Etat», résume Alain Quella-Villéger (lire ci-contre), qui a consacré un livre à cette fuite rocambolesque qui passionna l'Europe. L'histoire fit d'autant plus de brui