Les nuages passent les frontières et échappent aux dictateurs, mais leurs observateurs sont d’une matière moins légère. Ainsi, le scientifique Alexeï Féodossiévitch Vangengheim, né dans un village d’Ukraine en 1881, fantôme sur lequel est tombé par hasard, au cours d’un de ses voyages en Russie inspirés par Cendrars, Olivier Rolin :
«Il me plairait de penser qu’Alexeï Féodossiévitch sentit naître en lui une curiosité pour les météores en regardant rouler les nuages au-dessus de la plaine infinie.»
Le soir de son arrestation, il avait rendez-vous avec sa femme au Bolchoï.
Purges. Vangengheim, ce nom évoque celui d'un autre rêveur, Raoul Vaneigem ; son Internationale situationniste, plus discrète, est celle des masses d'air. Il fut un fondateur de la météorologie soviétique, un bonhomme de bonne volonté. Savoir à Moscou le temps qu'il faisait ou allait faire à Arkhangelsk ou Vladivostok était un prolongement marxiste et scientifique du projet kantien de paix perpétuelle. Mais, en 1934, la paix est ailleurs. Malgré son orthodoxie et sa croyance en le progrès soviétique, Alexeï Féodossiévitch est déporté aux îles Solovki. Les grandes purges n'ont pas encore commencé, il ne prend d'abord que dix ans : peut-être parce qu'il a contribué à introduire une théorie dite «norvégienne» de la naissance des dépressions où ne sont cités ni Lénine ni Staline, peut-être à cause de ses origines nobles, sans doute parce qu'un collègue envieux l'a calo