Rien ne doit détourner vos enfants de cette ambition raisonnable qui est de faire du pognon dans la finance, le numérique, le notariat, la gestion des partenariats public-privé, la promotion immobilière dans les DOM-TOM. La littérature, elle, est un métier pour inadaptés : les grands écrivains sont aussi de grands sinistrés de la vie ainsi que le rappellent cruellement chaque apparition télévisuelle de Patrick Modiano ou de feu Charles Bukowski, chaque photo jaunie d’Artaud ou de Céline, chaque croassement de Michel Houellebecq, chaque page blanche de Machin ou de Truc sonné pendant des semaines par la lecture d’une critique fielleuse.
Si ces exemples terrifiants ne suffisaient pas à assécher toute velléité littéraire au sein de votre progéniture, il faudrait recourir à la manière forte en lui jetant sous les yeux la confession poignante d’un de ces éclopés.
C'était en 1986. Le lieu : le centre culturel 92nd Street Y à New York. Sur scène, le grand romancier E.L. Doctorow. Face à lui, dans le rôle de l'intervieweur, l'essayiste et acteur George Plimpton, cofondateur de la Paris Review. Dans la salle, environ 500 personnes. Première question posée par Plimpton à Doctorow : «Vous m'avez dit un jour que la chose la plus difficile à faire pour un écrivain était de rédiger une simple note domestique, par exemple un petit mot destiné à une personne qui doit venir chercher du linge pour le pressing.»
Doctorow n'avait pas dit exactement cela. Il avait plutôt évoqué le