Qu'est-ce que penser ? Penser tout court, penser quelque chose, penser à quelque chose ? Vouloir, entendre, imaginer, rêver, sentir, est-ce penser, qui désignerait alors toute activité de l'esprit ? Ou bien penser - de pensare, peser, soupeser - revient-il à concevoir, juger, raisonner, autrement dit à «l'acte de rapporter un fait à un sens» ? Répondre à ces questions a été (est) l'une des principales tâches dont se sont chargés les philosophes, de Platon à Descartes, de Spinoza à Kant, de Hegel à Heidegger. Paradoxalement, ce qui semble n'être qu'une partie du problème, ou un «sous-ensemble», a été très souvent négligé : qu'est-ce que penser à quelqu'un, et, plus encore, qu'est-ce que penser à toi ? On le voit d'emblée : penser à toi - l'être proche, quelle que soit la «teneur» de cette proximité - met quasiment en échec, ou étouffe, le sens même de penser, le surchargeant d'affects et de sentiments, de joie, d'amour, de haine, de passions jalouses, d'admiration, des douleurs de la perte, de la souffrance de l'éloignement, de l'espoir des retrouvailles. On est véritablement mort, dit-on, quand plus personne, jamais, ne pense à vous, quand plus aucun souvenir de vous ne demeure dans l'esprit ou le cœur des autres. Aussi penser à toi est-il plus qu'une «pensée» : une manière d'ouvrir le monde, de t'y accueillir et d'y être accueilli, de l'ouvrir donc à la morale, à la politique, bref de faire qu'il vive, en dépit des embûches et de
critique
L’autre en soi
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Frédéric Worms en 2009, dans les locaux de «Libération». Pour le philosophe «avant même de penser à quelqu'un, nous sommes liés à ceux qui ont pensé à nous, et à qui nous penserons le plus, parce que notre pensée même à surgi peu à peu de là». (Photo Olivier Roller)
par Robert Maggiori
publié le 24 septembre 2014 à 17h06
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