Tout grand philosophe, suggérait Bergson, n’a en fait qu’une seule chose à dire, que toute sa vie il enveloppe, explique, décline, peaufine, corrige, développe. Cette «chose» n’est pas réductible à une «théorie», mais plutôt à un problème, ou à un champ problématique. Dans un cours du 1
er
décembre 1981, Gilles Deleuze demandait :
«Alors, qu’est-ce que cela veut dire, être bergsonien par exemple aujourd’hui, ou être platonicien aujourd’hui ?»
Et donnait la réponse suivante :
«C’est considérer qu’il y a dans Platon, Bergson, ou dans n’importe qui, des conditions de problèmes qui se révèlent encore, aujourd’hui, bien posées.»
Le tout est donc d’identifier les problèmes,
«leurs conditions et leurs positions».
Qu’en est-il pour Deleuze lui-même ? Que signifie «être deleuzien» ? Quel problème est au cœur de sa pensée ? Maintes réponses, toutes sensées mais peut-être sibyllines, ont déjà été proposées : la pensée de Deleuze est une
«philosophie des signes et de l’événement»,
une
«philosophie du Multiple»,
une forme de vitalisme, une
«philosophie de l’immanence»
ou encore une
«ontologie des flux et du virtuel».
Pour David Lapoujade, maître de conférence à l’université Paris-I-Panthéon-Sorbonne, à qui l’on doit la publication des deux ouvrages posthumes de Deleuze,
l’Ile déserte
(2002) et
Deux Régimes de fous
(2003), ces définitions ne sont guère acceptables, en ce qu’elles
«supposent ou préjugent ce qui est