Dans les vieux tableaux espagnols, les romans picaresques et les films de Luis Buñuel, c'est comme dans les rues du vieux Madrid : on tombe sur des aveugles, des nains, des putes, des curés aux allures de chauve-souris et des grandes dames au petit chien, bref, des monstres de toutes sortes. Ce n'est pas folklorique : c'est la vie même - la couleur violente et sarcastique de la vie. Les personnages donnent la mesure des hommes, de la société qui les réprime, de tout ce qui vit et souffre et s'agite sous l'écrasant couvercle. On en trouve donc, pour de vrai, dans le premier livre de Kiko Herrero. Il est espagnol. Il vit à Paris depuis trente ans. Il a écrit ¡ Sauve qui peut Madrid ! en français. Il n'est pas sûr qu'il publiera d'autres livres et c'est sans importance. Celui-ci est suffisant.
C'est un recueil de souvenirs d'enfance et de jeunesse, réels ou travaillés par l'imaginaire, dans la Madrid franquiste et postfranquiste, dans un village castillan de la Sierra de Guadarrama où l'auteur passait l'été. La première histoire conte l'arrivée d'une baleine en plein été à Madrid, où l'on n'en a jamais vu. Ce sont les années 60. Elle a traversé toute l'Espagne depuis La Corogne : on l'a transportée sur une remorque, «tirée par vingt hommes et huit bœufs galiciens». C'est comme le rhinocéros de Dürer ou le perroquet de Christophe Colomb. La foule s'assemble sur le terrain vague où, à 13 heures, on va découvrir l'animal. Il fait 40 degrés. L'odeur est insupportab