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Libération
critique

La leçon nationale

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Paul Viallaneix se souvient du cours de Lucien Febvre sur Michelet en 1943.
publié le 3 décembre 2014 à 17h26

En 1943, au cœur de l'hiver français, un historien de 65 ans donne au Collège de France, où il est entré en 1933, un cours sur Michelet et la France. Avec Marc Bloch, entré dans la Résistance, Lucien Febvre est le fondateur de l'école des Annales. Il continue de publier leur revue, dans laquelle Bloch publie sous pseudonyme. Febvre est un homme de la Renaissance : stylé, gourmand, musculaire, humaniste, attrape-tout. Son cours conte comment Michelet a créé l'histoire de France, cet acte de l'imagination, et comment, en la pétrissant par agglomération et fusion de toutes matières et de toutes vies, il s'est lui-même créé comme historien : c'est le grand flux totalisant et scientifique du romanesque XIXe siècle. Febvre brosse l'épopée intellectuelle d'un démiurge, du forgeron d'une Nation née de «la multiplicité» ; d'un pays qui par lui, Michelet, se pense contre les idées exclusives de nos ancêtres les Gaulois, de territoire fixe, de race, même de langue : «L'histoire de France n'a pas de commencement. Elle ressemble à ces rivières de mon pays qui sans cesse reculent leur tête, sans cesse pénètrent plus avant, plus loin des massifs rocheux, au cœur du Jura où elles déterminent ces brèches pittoresques et profondes que nous appelons, mot pittoresque, des reculées. L'histoire de France avance par un bout. Elle recule par l'autre.» Michelet est celui qui, selon Febvre, tient les deux bouts ; qui, plus exactement, les brasse et les embrasse.

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