Il est toujours émouvant de lire après sa mort le livre d’un grand historien de l’art, surtout si ce livre, comme celui-ci, prend une allure moins testamentaire que libératoire : Goya est l’artiste qui emporte son homme dans toutes les directions possibles, quatre chevaux à lui seul et son voyeur au centre pour toujours indécis, frissonnant, jouissant, écartelé, enfer ou ciel qu’importe.
Une phrase de Baltazar Gracian, le maître écrivain du baroque espagnol, résume les hauts et bas de l'humanité goyesque : «L'alternance des contraires fait la beauté et la durée du monde.» Les regards que portent le peintre sur cette alternance sont mélangés, joueurs, mordants, fuyants, toujours en mouvement. Et ils sont, au minimum, doubles : cruels et tendres, extérieurs et intérieurs, religieux et concrets, pointus et suspendus, sarcastiques et sympathiques, accusateurs et rédempteurs. Leur portée morale, sociale, politique, existentielle, est aussi profonde qu'indécidable. C'est le peintre qui voit tout et prend tout, sans réduire la lumière ni le champ, avant de mettre sur scène la société de son temps et l'humaine nature, avec ses habits de cour, ses bas morceaux et ses masques, comme on grimpe au ciel et descend au fond d'un puits. Werner Hofmann recherche les sources et les traces de cette profusion. Ce peut-être une gravure du Moyen Age, un tableau de Velasquez, une scène vue dans un asile ou dans la rue, un fait divers de l'époque, un livre. Un maçon ivre ou blessé, selon la