Quand il prend le bateau pour aller au bout du monde - lui ou l’un de ses doubles romanesques -, Jack London est comme le capitaine Nemo, très sourcilleux sur la bibliothèque, la cuisine et les commodités. Prenons la salle de bains. Dans
la Croisière du Snark,
«malgré ses dimensions restreintes, tout a été prévu : robinetteries, pompes, leviers, soupapes de vidange, rien n’y manque. Son installation m’a coûté des nuits blanches de réflexion».
Celle de l’intellectuel Pathurst, unique passager d’un voilier de marine marchande dans
les Mutinés de l’Elseneur,
n’est pas mal non plus. Là, tout est luxe, calme et volupté : civilisation. Dès qu’on en sort, c’est autre chose : le règne de
«l’inconcevable»
et du
«monstrueux»
; la nature sinistre des éléments et des hommes. Et il arrive que ces choses-là, qui sont la vie même, pénètrent dans la salle de bains. Elles détruisent les boiseries et la robinetterie, elles ne savent pas se tenir ; mais elles fouettent le roman et l’homme.
Il faut alors se battre pour sauver ce qui peut l'être et soi-même - sans humanisme cosmétique, sans belle image de soi, sans pitié ; grimper, l'arme à la main, sur les épaules de Darwin : «L'être qui vit est celui qui sort vainqueur de la vie, et cette victoire continuelle lui est aussi nécessaire que l'air respiré par ses narines.» George Orwell, en 1945, a résumé l'esprit de London : «Son attitude était démocratique en ce sens qu'il haïssait l'exploitation