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Libération
Critique

Livres. Vient de paraître...

Une sélection du service Livres de Libération
publié le 21 janvier 2015 à 17h16

Romans

Léonor de Récondo Amours

1908. Victoire, mariée à un notaire depuis cinq ans, ressemble à Emma Bovary, dont elle lit d'ailleurs l'histoire. Elle endosse sans entrain le rôle de la bourgeoise, même si son patronyme laisse deviner le réveil. «Cette vacuité lui convient parfaitement. Elle se plaît à croire qu'ainsi elle laisse de la place pour tout un monde. Il lui reste encore à déterminer lequel, mais cela viendra certainement un jour.» Son époux trousse sans émotion la bonne de 17 ans, Céleste, qu'il finit par engrosser. Victoire prend le dessus, l'enfant sera celui du couple. Mais des navettes de couffin de bas en haut font éclore une relation sensuelle - et les plus beaux passages du roman - qui défie la norme sociale et la descente aux enfers flaubertienne pour préférer le ciel. Du même auteur, Pietra viva paraît en poche (Points). F.RL

Florina Ilis Les Vies parallèles

Romancière de grand talent, peut être la plus douée de sa génération, comme en témoigne le succès de la Croisade des enfants (Syrtes, 2010), fresque ironique sur le postcommunisme, Florina Ilis continue de fouiller les âmes et les maux roumains. Cette fois, elle s'attaque directement au grand monument national, le poète romantique du XIXe Mihai Eminescu. Dans cette foisonnante fantaisie biographique se mêlent des épisodes de sa vie réelle - dont son internement psychiatrique - et d'autres sur sa riche postérité. Nationaliste fervent, antisémite convaincu, et inlassable pourfendeur de la misère du paysan roumain comme de l'injustice sociale, le poète a été à la fois récupéré dans les années 30 par le mouvement légionnaire, le fascisme roumain, puis après la guerre par le stalinisme, et plus encore à partir des années 70 par le national communisme de Nicolae Ceausescu. Ce livre puissant est une plongée dans les représentations de l'imaginaire roumain, et plus générale ment dans les obsessions de toutes sociétés et la façon dont elles inventent leurs mythes avant de les fracasser. M. S.

Alan Hollinghurst La Piscine-bibliothèque

La fortune des livres fait qu'ils changent parfois de rayon comme on sort du placard. Du gros paquet moulé dans un short de boxe de l'édition de 1991 (chez Christian Bourgois), le premier roman culte d'Alan Hollinghurst passe au monochrome blanc (chez Albin Michel) et gagne une nouvelle traduction établie en collaboration avec l'auteur. Publié en 1988, la Piscine-bibliothèque chamboula l'Angleterre parce qu'il racontait l'homosexualité de son époque, du moins celle d'avant le sida, la drague, la baise, l'amour. Le relire aujourd'hui a quelque chose d'émouvant, parce que c'était en fait une histoire assez pudique qui, moins «bombe littéraire», révèle d'autant mieux ses profondeurs. C'est la rencontre d'un jeune arrogant et d'un homme plus âgé autour de la piscine du Corinthian Club - pour ce qui est de l'aspect «bibliothèque», disons que «les bibliothécaires eux-mêmes n'avaient rien de rats de bibliothèque, et de loin». On voit se dessiner les lignes de beauté de l'œuvre à venir : attrait pour les dandys, soin apporté à la construction, goût de l'architecture, des corps et des bâtiments. Hollinghurst est un esthète, tout est très élégant. T.St.

Récit

Claude Eveno L'Humeur paysagère

Il y a les jardins «à connaître» et les «jardins à vivre», où «la chair», ce qui y fut partagé avec les aimés, compte autant que «le végétal». Ce sont les squares de l'enfance et du quartier, certains parcs. Claude Eveno, urbaniste, historien de l'art des jardins, raconte les souvenirs et les sensations que lui inspirent une centaine de jardins d'Ile-de-France, eux-mêmes échos de ses voyages au Japon ou en Inde. La sinuosité de la déambulation imprègne le texte, d'une érudition dense. Des reproductions de gravures accompagnent le récit. Le charme émane surtout de vieilles cartes postales collectionnées et commentées par Eveno, notamment celle-ci, «intitulée Meudon - Allée principale de la terrasse - Effet de neige et sur laquelle on avait écrit en travers, du côté de l'image, ainsi qu'on le faisait autrefois : "Comment trouvez-vous ce temps neigeux ? On ne verrait plus les deux petites infirmières". Une phrase mystérieuse à la Gaston Leroux.» V.B.-L.

Philosophie

Isabelle Aubert Habermas. Une théorie critique de la société

Une philosophie est grande lorqu'elle ensemence le maximum de champs disciplinaires, y compris ceux qui lui sont hétérogènes. Celle de Jürgen Habermas l'est assurément, qui irradie morale, sciences sociales, psychanalyse, politique, théorie du langage… Les problématiques de l'intersubjectivité et de l'agir communicationnel qu'elle pose - et qui d'une certaine manière congédient la philosophie du sujet et de la conscience - sont à cet égard les plus fécondes. Maître de conférences à l'université Paris I-Panthéon Sorbonne, Isabelle Aubert suit les entrelacs de ces deux problématiques, sonde la «théorie critique de la société» qu'Habermas élabore à la suite des grands théoriciens de l'Ecole de Francfort (Horkheimer, Adorno) et leur pénétration dans les pensées de la modernité. R.M.