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Manga

Taniguchi superstar

Le cahier Livres de Libédossier
Le mangaka célèbre 45 ans d’une carrière prolifique à Angoulême.
(Casterman 2014-2015)
publié le 28 janvier 2015 à 17h16

Jirô Taniguchi aime Angoulême, et Angoulême le lui rend bien. Invité d'honneur de cette édition du festival, le mangaka préféré des Français fête ses 45 ans de carrière avec l'art et la manière : une expo rétrospective au vaisseau Mœbius et un feu d'artifice de nouvelles publications. Une sorte de canonisation pour le premier Nippon à avoir remporté un prix ici. Alph-art du meilleur scénario en 2003 pour Quartier lointain, il a aussi été récompensé par le prix du meilleur dessin en 2005 pour le Sommet des dieux.

Déambulation. Dès ses premiers pas en France, au début des années 90, Taniguchi s'est imposé comme un maître du récit intimiste et contemplatif, à l'image de L'homme qui marche, déambulation sans dialogue d'un flâneur solitaire dans les ruelles et les parcs d'une banlieue ordinaire. Un livre qui serait au manga ce que l'image-temps est à l'image-mouvement chez Deleuze. La tendance à l'effacement des personnages devant les paysages découle de la sensibilité shintoïste de l'auteur pour le caractère sacré de la nature. Cette nécessaire humilité de l'homme face aux animaux et aux éléments se retrouve notamment dans les nouvelles qui composent l'Homme de la toundra.

Jirô Taniguchi est connu pour avoir produit près de 15 000 pages dans sa carrière. La trentaine de titres traduits en français ne constitue que la partie émergée de l'iceberg, principalement sa période de maturité. Car du début des années 70 à la fin des années 80, le mangaka s'est essayé à tous les genres, avec un goût prononcé pour l'image-mouvement. Le polar avec Trouble is my business, le western avec Seton, le catch sanglant avec Garôden, sans compter quelques publications érotiques et des one-shots échevelés inconnus en France.

Heureuse idée, donc, que cette rétrospective invitant les lecteurs, novices ou confirmés, à une traversée approfondie de son œuvre. Clin d'œil du destin, l'Homme qui rêve investit les cimaises du bâtiment d'Angoulême qui porte le nom du dessinateur fétiche de Taniguchi : Mœbius alias Jean Giraud. «Le parcours de l'exposition est conçu comme une déambulation», explique Nicolas Finet, son commissaire. Le visiteur navigue à sa guise entre trois axes thématiques ouverts : la nature, le temps et les personnages. A quoi s'ajoutent «deux modules», l'un sur le rapport à la nourriture dans le Gourmet solitaire, l'autre sur la collaboration Taniguchi-Mœbius pour Icare. L'espace de la mezzanine fait place aux dernières publications de l'auteur.

Musée. Quatre livres sont sortis en France depuis juin 2014. Dans la veine contemplative, un carnet de voyage à Venise, à tirage limité, transforme l'homme qui marche en touriste compilant des aquarelles chatoyantes. La minutie avec laquelle Taniguchi reproduit les architectures se manifeste pleinement dans les Gardiens du Louvre, récit onirique d'une visite à travers le temps et l'espace au musée. Autre commande, exécutée avec plus de liberté, Elle s'appelait Tomoji retrace la vie d'une jeune fille dans le Japon rural du début du XXe siècle. On y retrouve les thèmes de prédilections du maître. Enfin, les Contrées sauvages rassemble en deux tomes une quinzaine de nouvelles animalières publiées au Japon entre 1975 et 1986, offrant un aperçu fascinant du mélange de contemplation et d'action qui caractérisait Taniguchi à ses débuts.