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Haruki Murakami, coach qui fait mouche

Sur son site, l’écrivain japonais d’ordinaire discret donne avis et conseils à ses admirateurs.
L’auteur était en octobre 2006 à Prague pour recevoir le prix Franz­Kafka. (Photo Peter Josek. Reuters)
publié le 19 février 2015 à 19h36

Le site s'appelle l'Espace de monsieur Murakami («Murakami-san no Tokoro») et c'est un drôle d'endroit (1). Une sorte de foire-fouille de la discussion, de grand bazar de questions-réponses mêlant conseils et confidences. Tour à tour joyeux et sérieux, léger et débraillé, ce site de partage tenu par l'écrivain Haruki Murakami et son éditeur Shinchosha est l'occasion pour l'auteur de Underground, 1Q84 et de Kafka sur le rivage de tendre une main virtuelle à ses fans et lecteurs qui se sont adressés à lui entre le 15 et le 31 janvier. Et parfois de les brocarder avec l'air de ne pas y toucher.

Chaque jour, et jusqu’à la fin mars, il sélectionne une partie des questions envoyées par mail et répond en abordant une foule de sujets qui permettent d’en savoir un peu plus sur cet auteur secret et adulé qui fuit les interviews et n’échange quasiment jamais avec ses lecteurs-dévots.

Agora. Alors, dans l'Espace de monsieur Murakami, on s'épanche, on se livre, on sonde, on s'informe et le coach-thérapeute-inspirateur donne avis et conseils, livre ses souvenirs avec parcimonie. Murakami avait dit qu'il répondrait aux «questions de toute nature» sur son site dont l'adresse emprunte à Well You Needn't, thème du pianiste de jazz Thelonious Monk. Comme il l'avait déjà fait dans les années 90 et en 2002, il remplit le contrat dans son «espace» qui tient lieu du café littéraire, de l'agora virtuelle et du courrier du cœur. Certains fans viennent consulter Murakami comme on irait chez un psy pour confier misères et tourments. Et découvrent un auteur ironique. A un quadragénaire mécontent que sa femme ne lui fasse pas de fellations, il écrit : «Les personnes qui sont si soucieuses d'hygiène ne changent pas du jour au lendemain. Il vaut mieux renoncer. Vous pouvez aussi éduquer une carpe… Je plaisante, bien sûr.»

A une femme mariée qui ne se console pas de la mutation d'un collègue aimé, il conseille : «Vous auriez peut-être dû coucher avec lui au moins une fois.» A un jeune homme désargenté de 22 ans qui ne supporte plus les manières de vivre de ses parents avec lesquels il habite, il déclare : «C'est effectivement une situation merdique. Je ne pense pas que je pourrais la supporter moi-même. Braquer une banque, ce doit être la seule solution. Non, je plaisante, bien sûr. Travaillez dur, économisez de l'argent et prenez la route.» A l'une de ses fans, il recommande également de «travailler dur» pour oublier une séparation amoureuse. Parfois, il renvoie vers un vrai thérapeute pour soigner un malaise ou un manque d'appétit sexuel.

En auteur prudent face aux polémiques et prises de position, il se garde bien de trop s'exposer, même s'il fustige les discours de haine dont il dit être «parfois la cible».

Il se dit «en faveur du mariage gay» et réaffirme sa passion pour les chats, «animal égoïste». L'une de ses admiratrices lui demande d'ailleurs son avis au sujet de deux femelles qui se battent depuis qu'elles ont été stérilisées. «Elles ne sont peut-être pas d'accord sur l'évaluation des Abenomics», la politique économique du Premier ministre Abe. Puis il parle de base-ball, de la musique de Radiohead ou de Stan Getz, de son iPod et ses 2 000 titres, de son refus de rouvrir un club de jazz, trente-quatre ans après la fermeture du Peter Cat, dans le quartier de Kokubunji, à Tokyo.

Mangas. On lui demande des conseils de lecture : il cite Chandler, Russell Banks, Blood Meridian, de Cormac McCarthy, mais aussi son contemporain Kazuo Ishiguro. «Pressé par le temps et les yeux fatigués», il dit ne plus se plonger dans les mangas. A une étudiante de 19 ans qui souhaite écrire des romans, il suggère de «lire beaucoup et de se nourrir de ce qu'elle vit». Comme lui se nourrira peut-être de ces échanges curieux avec des centaines de fans.