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Libération
Critique

Le divan, île du Diable ?

L’inventeur de l’analyse par Adam Phillips
publié le 22 avril 2015 à 17h06

Pour un profane, le titre Devenir Freud évoque du déjà lu, relu, largement connu, etc. Rien de bien nouveau en somme, lecteur, passez donc votre chemin. Pour un familier de la psychanalyse, c'est l'association du titre et de l'auteur, Adam Phillips, qui peut faire dresser une oreille lectrice. Si ce brillant psychanalyste britannique qui a dirigé la nouvelle traduction des œuvres choisies de Freud, écrit de nombreux essais sur la littérature et la psychanalyse, éprouve maintenant en 2015 l'envie de publier ce livre nanti d'un sous-titre un peu énigmatique - «Biographie d'un déplacement» -, c'est qu'il a quelque chose de nouveau à dire. En effet.

Le premier chapitre, «La biographie impossible : une introduction à Freud», se boit comme une coupe de champagne… Il serait contre-productif de gâcher le plaisir de la découverte de cette approche originale de l'homme Freud. Un «Bernard Palissy» auquel Freud lui-même aimait se comparer, écrivant qu'un psychanalyste se conduit «comme un artiste qui achète des couleurs avec l'argent que sa femme garde pour la maison ou qui chauffe atelier et modèle avec les meubles» (lettre au pasteur Pfister, 5 juin 1910). Psychanalyste, «pasteur profane», est d'ailleurs une image dans laquelle l'inventeur de la psychanalyse se reconnaissait volontiers. On est loin ici de la caricature bourgeoise omniprésente d'un «Freud austère - le Docteur, le Maître au regard perçant - qui provient surtout du milieu et de la fin de la vie de Freud», écrit Phillips.

Freud a évidemment suivi de près l'affaire Dreyfus (c'est en 1899 que Dreyfus a été gracié après cinq ans au bagne de l'île du Diable). Freud en a rêvé : «Un homme sur un rocher escarpé…» a été source de nombreuses associations du rêveur. La psychanalyse, île du Diable ? Phillips va dans ce sens quand il écrit : «Elle défait les hommes d'une certaine dignité pour les rétablir dans une autre sorte, plus juste, de vérité. Dreyfus pensait qu'être juif n'empêchait pas d'être français, Freud croyait qu'il pouvait être à la fois juif et autrichien.» Un livre utile par les temps qui courent.