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Libération
Critique

Livres. Vient de paraître...

Une sélection du service Livres de Libération
publié le 6 mai 2015 à 18h46

Récit

Mathieu Lindon Jours de «Libération»

Plan de départs volontaires, clause de cession : changement d'actionnaire majoritaire à Libération. Partir, ou rester ? Pour certains, la question ne se pose pas (ils partent, ou bien ils restent), pour d'autres, qui ont envie de rester (ou de partir), mais craignent de prendre la mauvaise décision, c'est un tourment. Ecrivain et journaliste à Libération, Mathieu Lindon écrit, le 7 novembre 2014 : «Je serais heureux de rester au journal si je peux continuer à être heureux d'y travailler.» A cette date, il décide de tenir un journal. Il s'y tiendra jusqu'au 6 février. Jour après jour, il enregistre l'état des lieux (ascenseurs en panne) et des esprits, se souvient des trente années écoulées, raconte les amis qui partent ou sont partis lors d'autres crises. Chemin faisant, le livre montre comment se fabrique un quotidien, avec qui, à quoi ressemble l'ambiance de ce titre précisément. Et, comme dans tout journal intime, arrive ce qu'on n'attend pas. Le 7 janvier, la fête des partants n'aura pas lieu. «Un peu avant midi, on apprend l'attentat à Charlie Hebdo.» Cl.D.

Polar

Paula Hawkins La Fille du train

Rachel, la narratrice principale de ce premier roman, appartient de prime abord à la catégorie ingrate des personnages que tout le monde traite de haut : l’auteur, qui lui est supérieur par définition, le lecteur, qui ne s’identifiera pas, et l’entourage. Ainsi, elle persécute son ex et la nouvelle compagne de ce dernier, heureux parents du bébé qu’elle, Rachel, n’a jamais pu avoir. L’ex a gardé la même maison, Rachel passe devant matin et soir quand elle se rend en train à Londres. Très imaginative, elle s’intéresse aux voisins, une jolie femme, son mari et un amant soudain apparu sur le balcon. La femme en question disparaît. Comment la police ferait-elle confiance à Rachel, alcoolique au chômage, qui se prétend détentrice unique d’informations primordiales ? A défaut de perspicacité, la ténacité de ce témoin bancroche fera merveille. Les deux autres voix féminines prennent le relais pour assurer le suivi de l’intrigue. Cl.D.

Histoire littéraire

Philippe K. Dick Si ce monde vous déplaît… et autres essais

Lire Philip K. Dick hors fiction c'est circuler dans une sorte de masse pensante en fusion. C'est passer d'une fulgurance lucide à une croyance irrationnelle, d'un trait d'humour à une affirmation péremptoire sur l'avenir de l'homme. «Le Dick "pensant" est un Dick qui parle, et - le plus souvent - chaotiquement. Chaotiquement, parce qu'il parle comme il rêve, allant d'une chose à l'autre», écrit Michel Valensi en préface à cette anthologie de quatre essais et conférences, à-côté éclairant des romans cultes de l'écrivain américain (1928-1982). Les dernières années, l'osmose entre son œuvre et une sorte de délire théologique a engendré un fatras unique, dans lequel figure le discours mythique de Metz, le 24 septembre 1977. Ces textes, bourrés de références à des romans ou à ses propres écrits, peuvent se lire au coupe-coupe avec une réelle fascination et une conscience plus aiguë de ce qui se trafique aujourd'hui autour de nous. «Les jeunes aujourd'hui sont venus au monde dans cette société qui scrute tout, et ils en sont bien conscients, considérant que de tels dispositifs sont en activité a priori.» (1972) F. Rl

Philosophie

Michel Guérin La croyance de A à Z

La croyance est comme une goutte de mercure : on a vraiment du mal à la saisir, ou alors on croit l'avoir fait, renvoyant ainsi le problème en abîme. Elle serait même «un des plus grands mystères de la philosophie». C'est pourquoi Michel Guérin, l'auteur de la Terreur et la Pitié et des Origines de la peinture, a la prudence de proposer, non un «Traité de la croyance», mais un abécédaire, dans lequel chaque «entrée» - Bonheur, Dieu, Espoir/espérance, Foi, Goût, Jeu, Libido, scepticisme, Tolérance… - recueille et éclaire une manifestation ou une forme du croire. On voit ainsi que la croyance n'est pas seulement opinion, faux-savoir, leurre, ainsi qu'on la disqualifie depuis Platon, mais que, «affaire de cœur» et de corps, elle se love là où «vivre et penser se révèlent la même chose», dans l'ancrage à un réel qui, quand toutes les certitudes disparaissent, donne encore la force de dire «je crois», ou le «courage d'aller». R.M.

Bertrand Vergely La Tentation de l'homme-Dieu

L'homme-Dieu est l'homme que possède le désir de ne point avoir de limites. Peut-être est-il exagéré de dire qu'il « est partout», aussi bien «dans l'homme cagoulé qui terrorise la foule avec son fusil d'assaut», que dans «ces jeux vidéo qui proposent d'éliminer tous les obstacles, ma tériels ou humains», dans «les magazines qui donnent des conseils pour devenir des dieux et des déesses à coups de crèmes "divines"», et, évidemment «dans nos têtes et dans nos cœurs qui glorifient notre moi». Mais cette idée d'«homme-Dieu» permet à Bertrand Vergely de repérer, amèrement, quelques tares de nos sociétés, soumises au règne de l'hybris, de la démesure, attirées par le nihilisme, et qui ne peuvent guérir que si elles parviennent à extirper le démon de l'orgueil. R.M.