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Libération
Critique

Poussin voyageur

«Et in Arcadia Ego» (v.1630), huile sur toile de Nicolas Poussin. (Photo Erich Lessing . AKG Images)
publié le 5 juin 2015 à 18h17

Voilà un livre que plus d'une raison imposent. Il sera le guide le plus sûr pour s'orienter dans la grande exposition Poussin qui se tient en ce moment au Louvre. Mais il y a bien davantage dans le magnifique voyage, dans le temps et dans l'espace, que propose Poussin, une journée en Arcadie. A l'heure où l'enseignement des humanités classiques se voit à nouveau fragilisé, l'interprétation que propose Vincent Delecroix de l'œuvre de Poussin nous rappelle le caractère essentiel, vital voudrait-on dire, de leur héritage. Faut-il décidément rendre la possibilité de voir ces toiles - de comprendre ce qu'elles nous rappellent et de les laisser nous parler - de plus en plus conditionnelle, aléatoire, sinon même improbable ? Ce livre nous reconduit à l'essentiel. Il parle de l'invention du classicisme ; et nous découvrons au fil de la lecture que nous ne sommes pas étrangers au défi qu'elle présente, qui est celui de la modernité. Car il y va d'une figure de l'homme. Ecoutons Vincent Delecroix nous dire, avec l'élégance et la sobriété qui caractérisent son écriture, à quel point elle nous est nécessaire, au moment où nous appréhendons, le cœur serré, tant de destructions à venir : «A l'homme qui tout simplement désespère de sa grandeur ou de sa dignité, qui ne la trouve plus, c'est-à-dire qui ne la voit plus, il faut proposer de se sauver lui-même. Une image de la peinture n'est pas un moyen si dérisoire de le faire.» Il ne reste plus alors qu'à prendre enfin le temps de le suivre attentivement dans le geste d'écriture qui accompagne chaque tableau (le Printemps, les Bergers d'Arcadie et tant d'autres) pour ce qui pourrait bien apparaître, au bout du compte, comme la contre-parole d'un autre regard, rempli de désir, sur la nature humaine.