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«L’Hermione» à la reconquête de l’Ouest

Béatrice Vallaeys revient sur les coulisses de la reconstruction à l’identique, à Rochefort, de la frégate de La Fayette.
la frégate a rallié sa première escale officielle américaine le 5 juin après 6 000 km de traversée. (Photo Mladen Antonov. AFP)
publié le 10 juin 2015 à 18h56

L'Hermione vogue actuellement à la rencontre de son passé. La frégate de la fin du XVIIIe siècle, reconstruite à l'identique à Rochefort (Charente-Maritime), fait un triomphe de l'autre côté de l'Atlantique. Elle retrouve le sillage du marquis de La Fayette qui, en 1780, embarqua à son bord pour prêter main-forte aux insurgés. Avec sa démesure coutumière, l'Amérique des pères fondateurs la fête comme une libératrice fantôme, une revenante dessalée, ranimant une relation longue et mouvementée qui avait commencé sous les meilleurs auspices.

Dans un petit livre fait de témoignages et d'enthousiasme, Béatrice Vallaeys, ancienne de Libé, raconte ceux et celles qui ont rendu possible cette recréation qui a pris son temps et que valide aujourd'hui cette mise à flot et cette transat réussie. Il s'agit du récit à plusieurs voix de cette aventure longtemps statique et aux amarres enfin larguées, que Béatrice Vallaeys définit ainsi : «Construire au XXIe siècle un bateau vieux de plus de 200 ans, navigable, sans financement extérieur ou si peu, avec pour seuls mobiles un entêtement déraisonnable, un absolu désintéressement, une haute idée du partage et de la solidarité.»

Au fil des pages, on croise les différents acteurs de cette renaissance. Jean-Louis Frot est l'ancien maire de Rochefort. Au long de cinq mandats, il a parié sur la restauration du patrimoine maritime pour faire changer l'image de sa ville. Rochefort est un lieu compliqué. C'est une ville-arsenal, édifiée sur des marais, en retrait du littoral, pour échapper à l'Anglais. Frot dit : «Rochefort n'est pas une ville clinquante. Elle est sombre, un peu mélancolique, mais la Charente y est très belle.» Rochefort avait déjà remis à flot la Corderie royale, devenue un centre culturel maritime. Il a fallu désenvaser les cales de radoub afin d'y installer le chantier. Celui-ci a duré dix-sept ans quand l'Hermione originelle avait été achevée en six mois. Frot n'a pas détesté que l'affaire traîne si longtemps. Les commerçants de sa ville non plus. Mais l'ancien maire se réjouit qu'à l'arrivée, la frégate ait mis les voiles.

Avant qu’elle ne revienne à bon port, François Asselin était le patron d’une entreprise de bois. Il faisait des charpentes de cathédrales qui, vues à l’envers, ressemblent à des carènes de bateaux. Six à douze de ses menuisiers ont travaillé le chêne et l’ont poinçonné de chevilles en sapin, essence qui se gonfle quand elle prend l’eau, afin de limiter les fuites. Au départ, les artisans n’étaient pas ravis d’œuvrer sous les yeux du public. Ils se vivaient en bêtes de foire avant d’aimer faire œuvre de pédagogie. Et aussi de permettre à la caisse de bord de se remplir des subsides des visiteurs.

Bénédict Donnelly est le président de l’association et la cheville ouvrière de l’histoire. Il a su faire grandir ce projet et le porter jusqu’au bout. Son père était américain et a débarqué à Omaha Beach. Donnelly a la double nationalité. Ce qui lui donne une légitimité rêvée pour être l’ambassadeur d’une histoire faite d’aller-retour.

Yann Cariou est le commandant de l'Hermione. Au XVIIIe siècle, ils étaient 200 marins de guerre à bord. Cette fois, ils sont 80 volontaires bénévoles, capables de monter dans la mâture en gabiers inspirés. Cariou a recruté des passionnés avec «des profils d'aventuriers, des gens qui n'ont pas peur de se dépasser, de se surpasser et d'accomplir des choses un peu incroyables». Il a enrôlé des alpinistes ou des spécialistes de l'humanitaire qu'encadrent 16 marins professionnels. Il y a deux tiers d'hommes pour un tiers de femmes, car la force physique importe. Chaque manœuvre se fait à la main, à l'ancienne. Et Cariou d'expliquer son obligation majeure : «On part à 80, on revient à 80. S'il y a un problème, l'aventure s'arrête. Un accident grave, et on retourne à quai.» Pour que le bateau-musée continue à naviguer, il lui faut viser le risque zéro.