On sait aimer, rire, jalouser, détester. Et en parler. Nous respectons nos morts. Nous nous accouplons souvent en face à face, échangeons des baisers, fabriquons des bébés qui babillent. Et puis, nous savons fabriquer des feux (ou des bombes) et des avions qui sillonnent le ciel sur des milliers de kilomètres. Ou simplement, tromper notre ennui en faisant des ronds dans l’eau. Nous nous reconnaissons dans un miroir, signe que nous avons conscience de nous-mêmes. Une très haute conscience ?
Oui, mais l’attachement, l’altruisme, l’empathie s’observent aussi dans le règne animal. Oui, mais les souris et les rats de laboratoires gloussent lorsqu’ils sont chatouillés par une main humaine, tandis que le petit de la chauve-souris gazouille à l’âge d’un mois. Et puis, il y a Koko, la gorille qui parle, ou presque. Outre ses performances en langage des signes, ce primate élevé en captivité comprend plus de 2 000 mots parlés (en américain).
Et le sexe, dans tout ça ? Les chimpanzés ainsi que d'autres primates pratiquent la position du missionnaire, tandis que les bonobos ont fait du cul un jeu. On a même observé la chauve-souris pteronotus parnelli s'adonner au baiser, avec un rapide coup de langue sur celle de son partenaire. Une mention spéciale revient aussi au moqueur polyglotte, oiseau qui sait distinguer un visage d'un autre, alors que chimpanzés ou macaques se reconnaissent dans une glace, manifestant ainsi un sens du moi.
Alors, sommes-nous uniques, si différents, si supérieurs ? C'est bien cette vertigineuse question existentielle sur la nature humaine que viennent taquiner, faire tanguer, voire complètement bouleverser la neuropsychologue Karen Shanor (université de Stanford) et le neuroéthologue Jagmeet Kanwal (université de Georgetown) dans Les souris gloussent, les chauve-souris chantent, publié dans collection «Biophilia», aux couvertures d'un vert aussi frais que de la chlorophylle.
Si notre condition y est bien abordée en filigrane, cette somme n'a rien d'un pensum. Elle offre au contraire une revigorante plongée dans les extraordinaires (et souvent insoupçonnées) capacités des animaux sans jamais se vautrer dans le bébête show ou sombrer dans l'anthropomorphisme : «Le fait que les fourmis ont des cimetières pour leurs morts ne signifie pas qu'elles font le deuil de la même manière que nous. Ne nous imaginons donc pas qu'elles se lamentent», préviennent les deux chercheurs-auteurs.
De la science, de la science, encore de la science : c’est bien à cela que carburent Karen Shanor et Jagmeet Kanwal qui offrent là une synthèse des découvertes les plus récentes sur les molécules, cellules et comportements des animaux. Une façon plaisante d’entrouvrir d’inimaginables champs d’observation. Sur la sieste des drosophiles, sur la façon dont certains oiseaux migrateurs (notamment la famille des apodidés) sont capables de voler pendant qu’une moitié de leur cerveau dort. Ou sur le téléphone mis au point par les rats-taupes pour communiquer. L’émetteur (la bête) heurte le plafond de son tunnel avec le haut de sa tête, précisément la partie arrière, plate et osseuse. Le receveur, lui, appuie la partie la plus petite de sa joue, et sa mâchoire du bas sur la paroi du tunnel pour recevoir le message vibratoire.
L’ouvrage peut se butiner ou s’engloutir d’un trait. Il mérite en tout cas de s’appesantir sur quelques prouesses, en l’occurrence supérieures aux nôtres. Notamment sensorielles. Un éléphant mâle peut distinguer le grondement sismique le plus sourd envoyé par une femelle en chaleur à plus de 10 kilomètres. Un lamantin détecte un ouragan des jours avant qu’il n’ait lieu. Mais le plus bluffant est peut-être le cafard. Repoussant ? Il ne l’est plus pour les chercheurs, qui voient en lui une sorte de champion de la survie. Le cafard vit encore deux semaines après avoir été décapité. Il peut tenir quarante minutes sans respirer. Il est relativement imperméable aux radiations et résiste à une explosion nucléaire. Dans sa version allemande, il sait se passer de nourriture pendant un mois, et d’eau pendant une semaine. Leurs pattes (six) avec chacune au moins trois genoux servent de modèles aux ingénieurs qui planchent sur des robots. Un coup à rêver d’être un cafard ? Plus jamais on ne regardera cette bête avec une simple envie de meurtre.
Cette leçon de choses est en soi un délice. Et la mièvrerie n'est pas de la partie. «Les scientifiques n'ont pas encore rassemblé de preuves indiscutables sur le fait que des animaux non humains auraient besoin de se sentir supérieurs aux autres. Il semble néanmoins que d'autres mammifères partagent ce goût pour la compétition, tout comme ils ressentent de la jalousie et même cherchent à se venger», énoncent les auteurs. Avant de conclure, façon balle au centre : «Nos liens de parenté avec les animaux sont d'un ordre plus latéral que hiérarchique.»