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Libération
Critique

Des mercures pour éclipser le Roi Soleil

Marion Brétéché s’est penchée sur les revues que les protestants français, exilés en Hollande, publiaient pour fustiger la politique liberticide de Louis XIV.
publié le 12 août 2015 à 17h07

La Hollande protestante est, au XVIIe siècle, une terre de tolérance où s'expatrient nombre de sujets de Louis XIV, en particulier les huguenots persécutés après la Révocation de l'édit de Nantes, en 1685. Quelques-uns de ces exilés, dont une femme, profitent de la relative liberté d'expression et de la concentration unique en Europe de libraires, d'éditeurs et d'auteurs sur l'axe Amsterdam-La Haye pour lancer des revues périodiques en langue française. Marion Brétéché s'est intéressée à ces publications, souvent qualifiées de «mercures» en référence au messager des dieux apportant les nouvelles, car elles sont un exemple de ce qu'elle appelle «l'écriture d'action», c'est-à-dire une littérature qui est autant destinée à agir et à convaincre qu'à informer.

Hostilité. La diffusion des mercures est difficile à estimer mais elle semble importante, si l'on en juge par le nombre de rééditions et de traductions, ou par la fréquence avec laquelle Pierre Bayle les cite dans son Dictionnaire critique. Leurs auteurs réussissent même à en vivre - parfois très bien -, situation d'autant plus étonnante que, le plus souvent, l'écrivain à cette époque n'avait ni autonomie, ni statut social. «L'originalité et le point commun fondateur de ces trajectoires d'exilés reposent donc sur cette professionnalisation dans l'écriture», estime Marion Brétéché.

Un autre point commun est l'hostilité à Louis XIV. Le poids excessif de la fiscalité ou l'absence de libertés politiques sont autant de thèmes qui trouvent un écho avec ce que dénoncent en France des penseurs comme Fénelon dans une semi-clandestinité. L'analyse porte surtout sur les relations internationales, avec toujours l'Europe en point de mire. «La ligne éditoriale se caractérise […] par une opposition ouverte à la politique de Louis XIV et un soutien inconditionnel à la coalition menée par l'Angleterre et la Hollande contre la France.» La politique belliciste du Roi Soleil est en particulier accusée d'empêcher l'émergence d'un équilibre entre les nations, condition nécessaire à une paix durable, analyse que reprendra Montesquieu un demi-siècle plus tard dans ses Réflexions sur la monarchie universelle. Marion Brétéché souligne combien les dimensions politiques et religieuses sont intimement liées dans la réflexion des mercures, qui considèrent l'année 1685 comme un événement fondateur pour l'Europe, la Révocation étant perçue comme «le paroxysme d'une pratique absolue du pouvoir royal et d'une offensive pour la suprématie de la religion catholique sur le continent».

Absolutisme. Dans cet esprit, la Glorious Revolution anglaise de 1688 est un événement central puisqu'il s'agit ici encore d'un affrontement entre un souverain catholique accusé d'absolutisme, Jacques II, et un prince hollandais, Guillaume d'Orange, défenseur des protestants mais aussi des droits du Parlement. Dans ces occasions, les rédacteurs des mercures ne font pas preuve d'originalité car ils reprennent à leur compte les idées défendues par les théoriciens protestants durant les guerres de religion, en particulier la théorie du contrat, dont le Bill of Rights promulgué en 1689 par Guillaume d'Orange est une application. La nouveauté des mercures est ailleurs, estime Marion Brétéché, elle est dans leur souci de provoquer une politisation des lecteurs «en affirmant que tout sujet peut légitimement mettre en question les actions de son prince». Le dévoilement des ressorts cachés de l'action politique doit transformer le sujet du prince en sujet politique. Vaste programme pour ce journalisme balbutiant, et toujours d'actualité !