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Libération
Critique

Revue et corrigée

«Le Chant du monstre» fait peau neuve
publié le 13 novembre 2015 à 18h16

Il n'a plus tout à fait la même gueule ce monstre. Sur la couverture reconnaissable entre toutes, la bouche grande ouverte, qui affichait fièrement le fond de ses amygdales et la férocité de son appétit, a désormais les traits adoucis et une mâchoire plus souple. C'est pour mieux te manger, à n'en pas douter. La nouvelle identité graphique de ce quatrième numéro de la revue marque d'ailleurs un tournant : après les éditions Intervalles, c'est au tour du label naissant Sun/Sun d'abriter l'animal. Qu'il fasse peau neuve n'a cependant rien de surprenant si l'on se souvient que le Chant du monstre revendiquait dès son lancement un ADN hybride, mélangeant à l'envi cultures visuelle et littéraire, avec le parti pris de multiplier dans un format longiligne typos et mises en page hétéroclites. Mutant donc, «mais entrailles les mêmes».

En ouverture, on retrouve la carte blanche laissée à un éditeur. C'est Benoît Virot, du Nouvel Attila, qui se prête cette fois-ci à l'exercice, non sans avoir, au préalable, débouché une bonne bouteille pour l'occasion. Rien d'aviné dans ses propos, mais un ton fluide où se bousculent anecdotes surprenantes, souvent drôles, et réflexions pointues sur les tournants décisifs dans la construction d'un catalogue. Le plus frappant dans son cas étant peut-être ce jeu de vases communicants entre écritures très contemporaines et écrivains oubliés dans le vaste purgatoire de la littérature. S'en suivent sept longs extraits d'auteurs maison, parmi lesquels la prose chahutée de Benoît Vincent et son Farigoule Bastard est probablement l'une des plus belles découvertes de ces derniers mois.

Plus loin, il est aussi question de passage avec Hugues Robert, de la librairie parisienne Charybde, qui offre ici une vision extrêmement pertinente du rôle que son métier peut jouer dans le décloisonnement des genres. Partant de ses domaines de prédilection, la SFFF (science-fiction, fantastique, fantasy) et «la Blanche», il montre comment la connaissance de deux sensibilités, de leurs liens trop souvent ignorés, permet d'aiguiller judicieusement un lecteur vers la rive opposée. De fait, que l'on soit d'un bord ou de l'autre, son texte est une suite de ponts donnant particulièrement envie d'aller voir ce qui se passe de l'autre côté. Bien d'autres curiosités sont également au sommaire (un inédit d'Alban Lefranc, une superbe série de dessins signée Daehyun Kim, etc.). Que cette aventure de papier haute en couleurs soit le fait de trois jeunes pousses de l'édition n'est sûrement pas étranger à l'immense fringale que chaque livraison ne manque jamais de susciter.