Nul doute que le drame des réfugiés, symbolisé par le corps sans vie du petit Aylan sur une plage turque, ressurgira dans la littérature française. Avant-coureurs, deux livres viennent de paraître en signe de solidarité. Le premier, Bienvenue !, réunit «34 auteurs pour les réfugiés». Sorti le 3 décembre, il est publié par Points en partenariat avec le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR). Le second, largement diffusé lors du Salon de Montreuil, est une initiative de 58 éditeurs jeunesse. Les bénéfices de la vente iront à la Cimade.
Qu’est-ce que je peux faire ?
Acheter un livre, c'est un geste. Si l'ouvrage des éditeurs réunis connaît, dans les librairies, un réel succès, c'est qu'il permet d'agir, si peu que ce soit, il nous extrait d'une passivité que nous n'aimons pas. La minceur de l'objet, et son format en hauteur, en font un libelle plus qu'un livre, mais deux noms garantissent la qualité : celui de Serge Bloch, illustrateur, et celui de Daniel Pennac, dont le texte, inédit, est probablement le meilleur argument de vente. Il s'appelle «L'instinct, le cœur et la raison», et oppose deux pronoms, «eux» et «nous». Nous, on connaît. Eux, ce sont ces gens dont il faut bien parler, «ces gens dont nous pourrions faire partie, qui pourraient être moi, toi, vous. Nous. Mais qui sont eux». «Eux» : une invention, selon Daniel Pennac des politiques et des médias. «Et comment parlent-ils d'eux, presque tous nos politiques, presque tous nos journaux, presque toutes nos radios, presque toutes nos télés ? Et le Net lui aussi ! Quels mots choisissent-ils ? Quels mots répètent-ils du matin au soir, jour après jour, sans jamais en changer ?» Partisan de l'anaphore, comme le président Hollande, Daniel Pennac use d'un «Ils parlent de…» martelé, pour aligner les mots en question, exode, masses, hordes, déferlement, multitude, invasion. Puis il décrypte ce vocabulaire. Enfin, il revient sur l'accueil de «l'autre» au fil du vingtième siècle, sur le passé français en la matière. La dernière partie du livre décline les lettres du mot «réfugiés» sous forme de glossaire.
Qu’en aurait dit Stéphane Hessel ?
L'automne 2010, paraissait aux éditions Indigène Indignez-vous ! Stéphane Hessel dénonçait les inégalités de plus en plus grandes, la politique d'immigration, la désinvolture avec laquelle le gouvernement Sarkozy bradait l'héritage social du Conseil national de la résistance. Le format était identique à la plaquette d'aujourd'hui, le prix aussi : 3 euros. C'est un excellent chiffre, pour la bonne âme radine aussi bien que pour le client prodigue. L'indignation d'Hessel était destinée à secouer les esprits. D'où la forme du titre, l'injonction. En bon romancier, Daniel Pennac préfère l'empathie, se méfie de l'indifférenciation, et vise le sentiment.
La typographie se contente- t-elle de mettre les points sur les «i» ?
Le point d'exclamation est le point commun entre les nouvelles des 34 auteurs (Bienvenue !) et le «J'accuse… !» de Stéphane Hessel. Rien de tel avec Eux, c'est nous., qui met «eux» en italique, conformément à l'idée que veut faire passer Pennac, et clôt la phrase-titre, fermement, par un point. L'enfant (une petite fille ?) dessiné par Serge Bloch, blotti, les bras noués autour des genoux, occupe les trois quarts de la couverture. «Eux», si ce sont des enfants, c'est forcément nous. Surtout si ce sont des réfugiés, et non des immigrés.