Dans ce livre, on pourrait passer des heures, happé par les photos et les dessins autant que par les textes. Bouleversé par la résurgence d'un souvenir d'enfance ou indigné par une phrase piochée dans un manuel scolaire. A l'exemple de celle-ci, tirée de leçons d'histoire et de civilisation à l'usage des écoles indigènes et françaises, en 1893 : «Si les Kabyles et les Arabes écoutent les Français, ils seront heureux, ils seront meilleurs et ils seront regardés comme les enfants de la grande nation française.»
Didier Daeninckx est depuis longtemps hanté par les parts d'ombre de la période coloniale. En 1998, pour commémorer le 150e anniversaire de l'abolition de l'esclavage, il publiait Cannibales qui racontait le traitement réservé aux Kanaks lors de l'exposition coloniale de 1931 au zoo de Vincennes.
Avec l'Ecole des colonies, un ouvrage magnifiquement illustré et mis en pages, il a choisi de mettre l'accent sur les aberrations de la doctrine pédagogique de l'époque coloniale qui faisait débuter les cours d'histoire des écoles du Tonkin, du Dahomey ou du Soudan par «nos ancêtres les Gaulois». Il est vrai que, au début du XXe siècle, avec 11 millions de kilomètres carrés et 48 millions d'habitants, le domaine colonial occupe le deuxième rang mondial. Sont reproduits ici des exemplaires des formidables cartes murales Vidal-Lablache que celles et ceux nés au siècle dernier ne peuvent plus regarder sans un pincement de bonheur ou d'angoisse (selon l'attachement que l'on a eu, ou pas, pour l'école).
Sur l'une d'elles, on découvre le «département d'Alger» avec, à l'ouest de Blida, et au sud du petit port de Tenès, sa sous-préfecture, la fameuse Orléansville qui subira de terribles séismes et sera rebaptisée El-Asnam puis Chlef. Le colonialisme est vu alors comme une nécessité politique, économique et humanitaire, une œuvre républicaine apte à rétablir ordre et paix. Les valeurs civilisatrices - hygiène, discipline et morale - sont inculquées sur un mode paternaliste teinté de racisme. Ainsi cette affiche en français et en arabe avec des dessins explicites sur le trachome, cette maladie infectieuse des yeux propagée par les mouches, qui poussait les instituteurs, en Afrique du Nord, à aligner leurs élèves en rang pour leur mettre des gouttes. Dans l'atlas du cours moyen publié par les frères des Ecoles chrétiennes en 1900, on trouve aussi cette phrase édifiante : «Les populations nègres, particulièrement incapables semble-t-il de se gouverner elles-mêmes, livrées à toutes les atrocités d'un fétichisme stupide ou exploitées par l'islamisme corrompteur et cruel, ont tout intérêt à se voir soumises aux peuples chrétiens, qui du moins amélioreront leur sort…»