Même les moches peuvent avoir du succès. C'est le grand enseignement de l'Attaque des titans. Car même si sa beauté n'est pas conventionnelle, l'œuvre de Hajime Isayama est au manga ce que Walking Dead est aux comics : un phénomène planétaire qui se décline en de multiples séries, films et jeux vidéo. Depuis ses débuts au Japon en 2009, la BD suit les soubresauts d'une humanité réduite à l'état de cheptel pour des géants anthropophages, les quelques milliers de survivants se terrant depuis des décennies derrière des murs d'une cinquantaine de mètres. Résultat : plus de 50 millions de volumes écoulés dans le monde, le seuil du million étant franchi en France (en 16 tomes). Pour sortir des rayons manga et toucher un public plus large, les éditions Pika sortent cet hiver une «édition colossale» calée sur un format comics.
1- Quels sont les pouvoirs de l’anime ?
Il n'est pas rare que les ventes d'un titre soient relancées lorsqu'il a droit à son adaptation en dessin animé. Mais l'impact de l'anime de l'Attaque des titans a été exceptionnel. D'une grande qualité, doté d'un souffle épique et d'un sens du rythme rare, la série de Wit Studio et des Productions IG est un blockbuster à elle toute seule. Surtout, elle rend l'œuvre de Isayama plus accessible visuellement, plus grand public, en lissant le trait rugueux du mangaka. Comble du bonheur pour son éditeur français, Pika, la diffusion de l'anime a coïncidé avec la sortie du manga en 2013. Lors de son lancement, Pika croyait tellement en son titre qu'il a installé une tête de titan de 3 mètres dans les allées de Japan Expo.
2- Le dessin correspond-il au canon ?
Malgré l'offensive marketing, le succès de Shingeki no Kyojin reste étonnant. Surtout en France. Car le manga de Isayama est laid. Maladroit, tout en aberrations anatomiques, son dessin ne correspond pas aux canons visuels de la BD japonaise tel qu'ils se sont forgés dans l'imaginaire collectif des lecteurs français. Ce qui est généralement rédhibitoire, les classiques du patrimoine du manga, jugés trop datés visuellement, étant souvent condamnés à des ventes confidentielles. L'Attaque des titans échappe miraculeusement à cette règle d'airain. Peut-être parce que les titans d'Isayama ont quelque chose de viscéral et d'inquiétant (difficile de ne pas penser au Saturne dévorant ses fils de Goya) et suffisent à garder des lecteurs déjà appâtés par l'anime.
3- Vive l’état d’urgence ?
Peut-être aussi ce succès est-il lié à la capacité d’Isayama, derrière l’habituel décorum médiéval-fantastique, à capter l’air du temps ou au moins à résonner avec lui. Une humanité retranchée derrière de gigantesques murs pour fuir une violence aveugle qu’elle peine à comprendre. Une société qui tente de se convaincre que la menace est passée au point de redévelopper une organisation sociale inégalitaire et injuste, où de nouveaux remparts sont dressés pour tenir les riches à l’écart… difficile de ne pas trouver d’échos dans l’actualité. Et de ne pas vouloir suivre un héros qui veut voir tout ça voler en éclats pour enfin aller arpenter le vaste monde.