C'est l'épilogue d'une trilogie consacrée à la crise grecque, et c'est peut-être aussi le meilleur opus de la série : dans son dernier livre comme dans les précédents, Petros Markaris, auteur prolifique qui a donné au roman policier grec ses lettres de noblesse, utilise l'art de l'intrigue pour dépeindre l'état d'une société. Avec Epilogue meurtrier, on retrouve bien sûr le débonnaire commissaire Charitos, sa femme, Areti, leur fille, Katarina, et tous les personnages qui, de roman en roman, gravitent autour de cette famille typique de la classe moyenne grecque. Laquelle n'a jamais paru si désespérée, condamnée à une misère pudiquement dissimulée mais qui transparaît par touches anecdotiques, révélatrices d'une véritable déchéance. On se retrouve toujours autour de la table familiale, mais en cuisinant habilement les restes avec une économie minutieuse, on laisse la voiture au garage faute d'argent pour payer l'essence ou la vignette.
Cinq ans de crise, ou plutôt d’austérité imposée par les créanciers, ont mis la Grèce à genoux. Mais il y a pire : le retour des vieux démons de la guerre civile. Celle qui a succédé à l’occupation allemande. En dehors de la Grèce, rares sont ceux qui ont conscience de la violence de cette période comme du poids de ces fantômes sur une société qui connaîtra ensuite la dictature (entre 1967 et 1974). Ce passé invisible est au cœur du dernier livre de Markaris. De même que ses métastases : l’apparition et l’enracinement d’un parti néonazi, Aube dorée, qui a infiltré la police et ne recule devant aucune violence. Le tableau est sombre, sans espoir, accentué par les maux plus connus de la Grèce : une administration inefficace et corrompue, une frilosité conservatrice face à l’avenir qui vire parfois à l’hostilité ouverte vis-à-vis des étrangers. Au fond, peu importe la résolution de l’énigme des cinq meurtres auxquels est confronté le commissaire Charitos. C’est un paysage en voie de décomposition qui sidère le lecteur et le laisse avec une inquiétude diffuse en refermant le livre.