Si j’ai bien compris, avec sa déchéance de nationalité et l’état d’urgence infini, François Hollande a la délicatesse de faire en sorte que l’éventuelle arrivée au pouvoir de Marine Le Pen ne soit pas un choc. Il prépare le terrain, ce fameux terrain électoral toujours si mouvant, pour la continuité : s’il change tout avant, elle n’aura rien à changer après. C’est une nouvelle facette du pacte républicain. Pourquoi exclure le Front national de l’unité nationale ? Quand Manuel Valls a déclaré avoir compris le résultat des régionales, c’est nous qui n’avions pas bien compris ce qu’il avait compris, si j’ai bien compris. Si le Président aspire à être le prochain barrage contre Marine Le Pen, il semble qu’il soit un barrage poreux, diverses fissures apparaissent et la physique a plutôt tendance à les agrandir qu’à les rapetisser. On est déjà au goutte-à-goutte, il ne faudrait pas qu’on nous installe le haut débit - tout le monde n’a pas la fibre Front national.
François Hollande a désormais la double nationalité, de gauche et de droite, conservera-t-il les deux sans déchoir ? La France ne pourrait-elle pas aussi demander une dérogation à Bruxelles, comme pour le déficit et l’état d’urgence, afin, vu les circonstances et puisque les Français le veulent, de rétablir la peine de mort ? Voilà une bonne mesure pour dissuader les kamikazes. «Surtout, ne vous rendez pas, même les hésitants.» Jusqu’à présent, les kamikazes paraissent avoir anticipé la réplique des autorités socialistes et n’ont pas manifesté un respect extraordinaire pour la nationalité française.
Ça traînait, la dédiabolisation du Front national. On nous en parlait depuis des années, mais c’était toujours à venir. Tout le monde prétendait que son programme était à la fois inefficace et irréaliste. Serait-il tout à coup efficace et réaliste d’en emprunter quelques mesures, séparant judicieusement le bon grain de l’ivraie ? La situation est paradoxale : la droite menace perpétuellement d’appliquer quelques pans du programme du Front national sans le faire franchement quand elle est au pouvoir, la gauche jure ses grands dieux qu’elle n’y goûtera jamais, et voici que soudain cette saveur l’attire. La dédiabolisation du Front national n’est plus dans les détails de la Seconde Guerre mondiale, mais dans la volonté du pouvoir en place qui se pique pourtant d’en faire, par morale, son adversaire principal.
Les sympathisants de Marine Le Pen sont naturellement des Français comme les autres (au contraire de ce que vont devenir les binationaux). Mais leur vote ne doit plus seulement être pris en compte, il doit être aussi récompensé. A bas les grandes valeurs, vive les petites manœuvres. Que va-t-il se passer maintenant ? Un président socialiste qui veut réformer la Constitution pour y inscrire une mesure préconisée par le FN, ça, c’est du symbole. Après, on peut s’attendre à de nouvelles surprises.
Peut-être aurait-il mieux valu que François Hollande soit passé du côté obscur de la force dans sa jeunesse (ça n’empêche pas de devenir président et socialiste) et qu’il soit forcé de donner des gages que ce n’est plus son camp une fois au pouvoir. Là, c’est le démon de minuit qui lui arrive avec la soixantaine. Si j’ai bien compris, le Président a décidé de ne plus faire dans la dentelle.