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Libération
Critique

Vient de paraitre

Revue

En attendant Nadeau

L'équipe de la Quinzaine littéraire que Maurice Nadeau avait réunie autour de lui déménage, et publie désormais en ligne, gratuitement. Cela à la suite d'un désaccord avec la nouvelle responsable de la revue. C'est donc sur le Net qu'on lira un magistral article de Maurice Mourier, grand connaisseur du Japon, sur Murakami, dont Belfond publie Ecoute le chant du vent et Flipper, les deux premiers textes de l'écrivain, qu'il ne voulait pas voir republiés. Mourier explique en quoi Murakami est «le plus japonais des auteurs japonais actuels, en dépit d'un background occidental revendiqué dès l'origine». Cl.D.

Romans

David Duchovny Oh la vache !

Madame Bovary a inspiré de nombreuses variations et pastiches, dont Gemma Bovery, le roman graphique de Posy Simmonds. Cette fois, c'est l'agent Fox Mulder, de X-Files, qui s'y colle. Mulder, David Duchovny dans le civil, publie ici son premier roman (titre anglais : Holy Cow). Oh la vache ! raconte les aventures d'Elsie, une vache qui crèche dans l'Etat de New York. Vers le début, on peut lire : «Je m'appelle Elsie. Oui je sais. Mais il y a pis.» Le traducteur a l'air de s'être amusé. Elsie Bovary est une vache qui a des lettres, elle cite le Monde de Charlotte (de E.B. White) et la Ferme des animaux (de George Orwell). Elle-même écrit, titre de son prochain livre : la Puce savante. Décidée à échapper à son destin (finir en steak haché), elle projette de s'enfuir avec deux complices, Shalom, le cochon converti au judaïsme, et Tom, un dindon qui passe sa vie sur Google Maps. Le début d'un périple qui les fera passer par l'Inde et Israël. N.L.

Inaam Kachachi Dispersés

Une vieille femme, chrétienne d'Irak, se retrouve en France, elle découvre les barres d'immeubles de Grigny et le palais de l'Elysée quand elle est invitée à y rencontrer le pape Benoît XVI. Mais qui peut imaginer que cette dame en fauteuil roulant a été une brillante et courageuse gynécologue dans son pays ? Tout jeune médecin, à peine sortie de l'université, elle a occupé son premier poste en 1955 à Diwaniya, un hôpital où la moitié des malades couchaient par terre, où «les canalisations étaient bouchées et les excréments flottaient à la surface des cuvettes». Ensuite, année après année, avant que sa carrière ne l'amène à Bagdad, elle a lutté pour l'amélioration du statut et de la santé des femmes. Plus tard, il y a eu la guerre et le délitement du pays, qui a poussé ses enfants à l'exil et à se disperser dans le monde entier, entre le Canada, Dubaï et Haïti. Dispersésest le deuxième roman de la journaliste irakienne Inaam Kachachi. N.L.

Michèle Forbes Phalène fantôme

Une famille catholique en quartier protestant, à Belfast, en 1969. La politique va heurter violemment les personnages, mais les premières secousses viennent du passé, du souvenir d'un premier amour en 1949. Dans ce premier roman d'une comédienne, captivant par sa manière de signaler les attitudes, les émotions, les visages des enfants, la mélancolie survient rarement là où on l'attend. La scène la plus érotique est la description, par un tailleur, du costume qu'il va tailler. Cl.D.

Nouvelles

Frédérique Martin J'envisage de te vendre (j'y pense de plus en plus)

Le titre de ce recueil donne le ton : un humour noir et des intrigues fantastiques. Des personnages bien de notre temps (on le remarque à leur vocabulaire et à leur «insatisfaction chronique sans objet») sont saisis pendant une crise de nerfs, tandis qu'ils sont prêts à jeter le bébé avec l'eau du bain. Une femme passe à l'acte et vend sa mère : «On ne peut pas dire qu'on se la soit arrachée.» Luc est sur le point de se pendre, la corde n'attend plus que lui quand il reçoit un appel de Sonia, de France Télévisions, qui aimerait qu'il témoigne de son rapport à sa mère (décidément). Le meilleur texte s'intitule «Les Alliances». Gérald s'apprête à épouser Nathalie, jalouse à mort de son amie Caroline : «Après les noces extravagantes de Caroline et Charlie, Nathalie était sur les dents», remarque Gérald, loin d'être un imbécile. C'est l'histoire d'une rivalité féminine, un excellent sujet, le plus vraisemblable du recueil. V.B.-L.

Polar

Jean-Marc Durand Les anges barbares

Une jeune femme est découverte dans un hangar la gorge tranchée. C'est l'hiver 1951 à Lyon. Le souvenir de la collaboration reste vif, en particulier dans les rangs de la police. Le commissaire Jean Delmas, chargé de l'enquête du meurtre de Martha Lidac, seule de sa famille à être rescapée des camps de la mort, était lui du côté des résistants. Le crime s'avère le début d'une plongée dans les séquelles de l'Occupation, dont le supérieur de Delmas reste une incarnation ambiguë. «Il souffrait de cette affaire et ses relents de mélasse éreintante de l'Occupation dans laquelle s'étaient empêtrés des milliers de petites gens qui n'avaient jamais si bien porté leur nom.» Quelques visages chaleureux surnagent dans une atmosphère délétère. Mais c'est leur faire trop d'honneur que de considérer les coupables poursuivis par Delmas comme des anges barbares. Sauf à considérer comme son chef que tout un chacun est «un alliage de bien et de mal». Sur fond de trafic d'œuvres d'art et d'airs d'opéra, des masques tombent dans un premier roman qui tente d'éviter le manichéisme. F.Rl.

Philosophie

Jean-Pierre Cometti La démocratie radicale - Lire John Dewey

Toute l'œuvre du philosophe américain John Dewey (1859-1952), l'un des pères du pragmatisme - qui commence à être bien connu en France - est portée par «le souci d'une société organisée selon d'autres lois que celle d'un individualisme mal compris, de la compétition, des appétits sans bornes et de la cupidité». La façon dont sa pensée politique «intègre» le libéralisme, nécessite néanmoins quelques éclaircissements encore, que donne l'ouvrage de Cometti. Dewey reconnaît aisément que «les voies dans lesquelles les sociétés libérales se sont engagées» aboutissent à des impasses et à des désastres socio-économiques. Mais il considère aussi que l'évolution du libéralisme n'est pas fatale et peut s'ouvrir à des changements, si se développe une «intelligence sociale» capable de réduire «l'éloignement des individus des lieux de décision». Il s'agit, autrement dit, pour faire émerger une «dimension progressiste», de «reconsidérer le libéralisme dans ses potentialités, dans ses relations avec la démocratie, et dans la perspective d'une radication» - écrit Jean-Pierre Cometti, disparu le 4 janvier dernier, et dont doit paraître aussi, dans quelques semaines, Conserver/Restaurer. L'œuvre d'art à l'époque de sa préservation technique (Gallimard). R.M.

Søren Kierkegaard Les stades immédiats de l'eros ou l'eros et la musique suivi de silhouettes

«Mozart immortel ! A toi je dois tout, la perte de ma raison, le saisissement de mon âme, l'épouvante au plus profond de mon être ; à toi je dois de ne pas avoir parcouru la vie sans que rien fût capable de m'ébranler ; à toi je rends grâces de ne pas être mort sans avoir aimé…» Qu'on ne se laisse pas tromper par le lyrisme : Kierkegaard donne en réalité une stupéfiante interprétation du Don Giovanni de Mozart, en deux textes tirés de la première partie de Enten… Eller (Ou bien… ou bien, traduit aujourd'hui par l'Alternative), où étaient posées les bases de la philosophie de l'existence dont le penseur danois est le fondateur. Ce que Mozart «nous apprend à discerner», c'est le «classement des stades de l'éros immédiat» et la musique a pour «objet absolu» la «génialité sensible» : c'est donc le rapport entre éros et musique qu'étudie Kierkegaard, en utilisant paradoxalement «la voie du raisonnement» alors que seule la musique peut prouver que «la génialité sensuelle est l'objet de la musique»R.M.