Nombreux sont les écrivains qui explorèrent la «face sombre» de l'existence : qui dirent la souffrance, le désastre, parfois la folie - tout ce qui relève de l'innommable. Nul toutefois ne le fit plus purement que Vincent La Soudière. L'interminable agonie que fut sa vie est retracée dans ses Lettres à Didier, dont la publication est désormais achevée avec un troisième volume (2015), et qui constituent un témoignage littéraire sans équivalent.
Vincent La Soudière a conduit jusqu'à son terme l'expérience des limites. Il a franchi le seuil. Son œuvre est l'expression saisissante de ce franchissement : «La forme humaine est en train de m'échapper. Un grand vent désertique a passé sur moi, qui a disloqué en moi le point où l'homme s'articule à l'animal, où l'animal s'articule au végétal. Cette mystérieuse soudure est en train de céder.» C'est cette conscience d'avoir atteint l'infra-humain qui fait sa singularité, parmi tous les autres chroniqueurs de l'abîme. L'exploration de la nuit mène «plus loin qu'on ne veut aller», plus loin que l'humanité n'était allée, jusqu'à «l'impensable chaos antérieur».
Vincent La Soudière apparaît ainsi comme l'incarnation la plus nue de ce que Freud nommait la pulsion de mort - laquelle n'est tournée vers la mort que parce qu'elle aspire au retour : «Rejoindre l'arrière-fond originel, le vide, l'absence pure, notre vraie origine à tous […]. Rester morts, rester comme avant […], ensommeillés de néant.» Toutefois, à cette pulsion torturante qui l'habitait, lui interdisant de vivre autant que d'écrire - et à laquelle il offrit paradoxalement une voix incomparable -, La Soudière refusa de céder. Il mena contre elle un combat permanent.
S'il connut plus que quiconque «l'angoisse d'exister», ce fut «sur fond d'espoir insensé» : «J'espère cependant, je crois, je suis sûr que ma Parole enterrée sera dite, que la terre calcinée reverdira, que d'anciennes promesses seront tenues.» Il vécut dans l'attente d'une impossible naissance, non pour échapper à la nuit (qu'il savait être son destin), mais pour que «toute cette mort accumulée» ne l'ait pas été en pure perte. La naissance espérée n'eut pas lieu. L'écriture lui fit défaut. Vincent La Soudière se jeta dans la Seine le 6 mai 1993.