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Libération
Critique

Melpo Axioti, ressac grec à Paris

Paris, place de la Bastille, années 50. (Photo Peter Cornelius. AKG-Images)
publié le 19 février 2016 à 17h11

République-Bastille. Un quartier de Paris. Celui où arrive Lisa, l'héroïne de cette histoire intime et politique, celle d'une jeune femme qu'une guerre civile a chassée de son pays natal. Un pays ? «Là où tu trouves des mains» pour prendre la tienne, «et de ces mains, tous les pays en ont», dit Lisa/Melpo Axioti. Dans le roman, c'est la France.

Alors «République» : liberté, égalité, fraternité ; «Bastille» : prisons défaites.

En partance pour Paris, Lisa se remémore le conte du pêcheur d'éponges qui parle avec la mer. Une histoire effrayante - et heureuse. Car par la mer où tout se perd, la mer/langue, les naufragés deviendront «autre chose que ce qu'ils étaient ; différents». Ainsi «vivent-ils encore quelque part» (W. Benjamin), ceux dont un récit nous dira l'épopée. Les vivants et les morts. Mais «Il faudrait qu'on écrive un livre où toutes les choses puissent être contenues : où l'on puisse voir et entendre en même temps. Et sentir. Comme ça se fait dans la vie.»

«Ô que ma quille éclate ! Ô que j'aille à la mer !» : le vers de Rimbaud résonne là comme une cymbale. Il dit le courage poétique même, immense : à corps perdu se jeter à la langue, forcément toujours étrangère. Un risque, une chance. Au plus nu ici d'une expérience : celle de la littérature dans l'autre langue, fraternelle celle-ci, qui garde, vivace, la pulsation de la langue maternelle éloignée. Et l'autobus qui cahote rue Jean-Pierre-Timbaud devient mulet d'un sentier grec : «Ainsi, les frontières nationales s'effondrent dans la poésie, et les forces vives d'une langue se répondent l'une l'autre par-delà l'espace et le temps, car toutes les langues sont liées par une union fraternelle, qui s'affirme précisément dans l'esprit de famille propre à chacune, et dans la liberté au sein de laquelle elles constituent une grande famille et se hèlent comme de vieilles connaissances.» (O. Mandelstam).

Quelqu’un m’a offert ce livre. Un cadeau. A mon tour de rendre à qui voudra la joie de le lire.