Menu
Libération
Critique

Ô rapt, Ô désespoir

Se remettre d’un drame en famille, par Bret Anthony Jonhston

Publié le 11/03/2016 à 17h52

Nous arrivons après la bataille, puisque Souviens-toi de moi comme ça débute alors que Justin, l'un des deux fils d'Eric et de Laura, a été tué ou kidnappé quatre ans plus tôt. Il reste à ces quadragénaires de la classe moyenne un adolescent de 14 ans attachant, Griffin. La désespérance, l'explosion de la vie conjugale, cette descente aux enfers qui est au cœur d'autres romans - l'Enfant volé de Ian McEwan, par exemple - a déjà eu lieu ici. La famille habite Southport, une ville côtière du Texas où la chaleur est écrasante et les ouragans carabinés. L'environnement est hostile, mais on n'arrête pas d'y circuler pour les besoins de l'intrigue et parce que rien n'est à proximité ; c'est ça, l'Amérique.

Eric passe «ses après-midi avec une autre femme pendant que Laura s'occupait d'un dauphin malade», bénévolement, dans un centre de recherche en biologie marine : chacun sa méthode pour noyer le chagrin, mais le colmatage est imparfait et les amants ne sont jamais à l'aise, toujours ailleurs, ce qui rend les scènes d'adultère émouvantes. Quant à Griffin, il tire son épingle du jeu en rencontrant une fille en or, Fiona, qui a «la gentillesse et le côté aguicheur d'une actrice de théâtre». Le bouleversement qui nous est réservé est le retour de Justin. Une commerçante l'a reconnu dans son magasin où, accompagné d'un adulte, il achetait des souris pour nourrir son serpent. Le shérif convoque les parents. Laura est catégorique : si ce jeune homme a un serpent, ce n'est pas son fils, pas son genre. Mais Justin est devenu un autre, il a désormais 15 ans et 15 centimètres de plus ; le comble, c'est qu'il ne vivait pas loin : Dwight Buford, son ravisseur, est quasiment un voisin d'Eric et de Laura. Contre une caution d'un million de dollars, Buford pourrait être libéré. Là réside notamment le suspense, toujours renouvelé et habilement organisé par Bret Anthony Johnston, né en 1971, auteur de ce premier roman et directeur de l'atelier d'écriture de Harvard.

Justin a-t-il été violé ? A quoi ressemble Buford, si proche et jamais aperçu ? On ne le saura pas. A rebours de l'idée selon laquelle les secrets sont un poison pour une famille, chez Johnston, ils sont bien gardés. Justin ne lève pas le voile sur les conditions de sa détention. Son entourage accepte son silence et, petit à petit, cela ne va pas si mal. Le roman est une ronde autour de deux inconnus, le fils retrouvé et son ravisseur. Justin lui-même ne cesse de changer de place les meubles de sa chambre, et lorsqu'il revient à l'aménagement initial, il recommence. Il fait bon vivre avec cette famille ébranlée qui tourne et tourne encore autour du pot mais sans emportement. Ce sont «des gens bien». Les frères s'aiment, ils parlent des filles, de la fameuse première fois. Même la maîtresse d'Eric est plaisante. Au détour d'une énième sortie en voiture, elle sauve la vie de Griffin que tabassent de mauvais garçons. «Jamais vous ne faites une pause, dans cette famille ?» demande-t-elle. Jamais, non.