L'histoire se passe au Brésil après la guerre de Corée, dans l'atelier d'un tailleur japonais qui accueille et forme au métier Yohan, un jeune Nord-Coréen sortant de trois années de captivité en Corée du Sud, auprès de soldats américains devenus au fil des mois ses compagnons d'infortune. La ville côtière brésilienne dans laquelle accoste Yohan n'est pas nommée, et même si une note de trompette ou de guitare monte de temps en temps depuis la rue jusqu'aux toits-terrasses, malgré la présence d'une église, on se croirait plutôt dans un petit port asiatique dans lequel les déplacements se font à vélo. Ce méli-mélo intrigant et subtil de pays, d'images et d'ambiances ne s'arrête pas là. Chasseurs de neige fait penser à l'une des Nouvelles orientales de Marguerite Yourcenar, «Comment Wang-Fô fut sauvé» , car les flots sont ici essentiels.
Par ailleurs, Paul Yoon, auteur d'origine coréenne né à New York en 1980, dit que pour ce premier roman, publié après un recueil de nouvelles remarqué, la lecture de l'Israélien David Grossman fut déterminante. Ce n'est pas sur l'écriture de Yoon que semble s'exercer l'influence de Grossman, mais sur les questions qui traversent le livre : parvient-on à reprendre goût à la vie après une guerre traumatisante ? L'amour et l'intimité partagés avec un être ne sont-ils donc rien, puisque la vie reprend son cours avec tellement d'insolence une fois que l'on a perdu un parent ou rompu avec un aimé ? «Malgré tout, ils ont partagé quelque chose», songe Yohan à propos d'une voisine à laquelle, au fil des ans, il n'envoie plus qu'un signe de la main. Espérer que restent des traces du temps révolu sur un objet ou sur un morceau de soie, telle est la préoccupation de Yohan, trop placide pour que l'on parle à son sujet d'obsession, héros solitaire aux inquiétudes universelles. Les liens comme la neige filent entre nos doigts et Yohan ne s'y fait pas.
En 1954, Yohan a 26 ans. Les violences dont cet orphelin fut victime et témoin comme prisonnier ne sont qu'esquissées, et beaucoup de faits demeurent mystérieux. Le roman se rapproche encore du merveilleux par la politesse des uns envers les autres, une fois le conflit terminé bien sûr. Yohan peut alors choisir entre retourner en Corée du Nord ou partir pour le Brésil, en vertu d'un accord négocié par les Nations unies. Pourquoi préfère-t-il le Brésil ? On ne sait pas. Le roman met en images (c'est ainsi qu'il raconte) la cohabitation entre le tailleur et son disciple, l'acclimatation de Yohan à ce pays étranger et quelques scènes de son enfance auprès de son père. Chasseurs de neige parle d'attachement, de manque et de chagrin avec un art de la suggestion comme on en rencontre rarement. Amoureux, Yohan pose l'oreille contre le nombril d'une femme pour écouter «cette chambre enclose sous sa peau». A la fin de ce livre sur l'oubli et la séparation, Yohan navigue sur un canot et pense aux fleuves : «Ceux au bord desquels il s'est reposé, ceux qu'il a franchis, ceux qui ont détruit des vies humaines.»