Un matin de décembre sans vent, une vieille dame au bonnet rose promène son chien dans un parc de Francfort, comme chaque jour à la même heure. A moins de 100 mètres de là, caché dans les buissons, un homme la guette, armé d’une Remington munie d’un silencieux. Il attend le bon angle, ajuste, appuie doucement sur la détente. On voit la tête de la vieille dame exploser, l’homme ramasser la douille expulsée, démonter son fusil et sortir tranquillement du fourré. Trois jours plus tard, dans le même coin, une femme au foyer d’un certain âge prépare le dîner dans sa cuisine avec sa petite-fille tandis que sa fille s’occupe au salon. Elle semble heureuse, sa famille est réunie, elle n’attend plus que son mari, médecin, souvent en retard. Juché au sommet d’un transformateur, caché par des branches de sapin, le même homme ajuste la même arme et tire. La femme s’écroule, son sang éclabousse la petite fille, la cuisine devient scène de guerre.
Traque. Dans les locaux de la police, c'est la consternation. Ces deux femmes n'avaient aucun ennemi, aucune zone d'ombre. Si elles ont été tuées au hasard, la série va continuer, plus personne n'est à l'abri. Et les vacances de Noël ont vidé une partie du service. L'officière de police judiciaire Pia Kirchhoff, qui vient de se marier et prépare son voyage de noces en Equateur, n'arrive pas à se résoudre à abandonner son collègue Oliver von Bodenstein. La curiosité et la conscience professionnelle sont les plus fortes. Elle va rester. Enquêter. Traquer le moindre indice qui permettra d'identifier le tueur.
Elle est sympathique, cette Pia Kirchhoff. Non seulement elle aime son travail mais elle ne se la raconte pas, elle est simple, cool, vive, sans état d’âme. Avec elle, on suit, captivé, les soubresauts de l’enquête, les drames familiaux, les fausses pistes et les avancées. Car l’homme qui tire se dévoile au fil des jours.
Non content de tuer (plusieurs autres victimes suivront), il éprouve le besoin de revendiquer ses actes. Après le meurtre de la vieille dame au bonnet rose, il fait parvenir à la police un faire-part de décès signé «le Juge», sur lequel on peut lire : «Ingeborg Rohleder devait mourir parce que sa fille s'est rendue coupable de non-assistance à personne en danger et de complicité d'homicide involontaire.» A chaque mort son faire-part. Si «le Juge» tue, ce n'est donc pas au hasard, mais par vengeance, pour punir une famille en lui faisant subir la même souffrance qu'il a endurée autrefois.
Il faudra du temps aux enquêteurs pour remonter sa trace. D’abord parce que leur hiérarchie, croyant bien faire, leur balance entre les pattes un analyste criminel, une sorte de profileur qui finira par s’embourber dans ses théories fumeuses et accumulera les bourdes. Ensuite parce que le tueur fait preuve d’une maîtrise parfaite et ne laisse aucune trace derrière lui.
Imaginaire. Ce polar est formidable car il est à la fois un roman à énigme digne d'un Agatha Christie ou d'un Conan Doyle, mais aussi une plongée dans les milieux du don d'organe qui, sur un fil ténu, oscillent sans cesse entre drame et espoir.
C’est peut-être d’ailleurs le seul bémol à apporter à cette histoire. Elle pointe si fort les dérives possibles des greffes qu’elle vous dégoûterait presque de faire établir votre carte de donneur, qui pourtant peut sauver des vies. Ce livre n’est qu’une fiction, mais elle fonctionne si bien qu’elle finit par vous faire confondre imaginaire et réalité.