Suite à un étrange mais banal incident - un brusque état de sidération l'empêchant de traverser la rue - Monsieur Wang, professeur de littérature chinoise, marié à une ancienne sportive devenue acariâtre, perd les pédales, ne supporte plus son existence et trouve comme seule échappatoire sa métamorphose en singe. Bizarrement, sa vie reprendra son cours, sans qu'on n'ait rien compris, ni de la transformation ni du retour au statu quo ante.
Pourquoi se délecter de cette histoire du Professeur singe, nouvelle de Mo Yan, prix Nobel de littérature en 2012, publiée en 1992 en Chine mais parue en traduction française seulement voici un an ? D'abord, le lecteur y trouvera une description ironique de la vie en Chine à la fin du siècle dernier, des embouteillages, des cuisines sur les paliers, de la surveillance serrée, parfois hystérique, du voisinage et de la police, et ce sous la plume d'un écrivain lui-même ambigu vis-à-vis du Parti communiste. Mais on peut être un grand écrivain sans être un grand opposant et il est maintes façons de critiquer les régimes autoritaires. Ensuite, à notre époque de réflexion intense sur les traitements infligés aux animaux, la nouvelle exploite à merveille le ressort classique du jeu de miroirs entre hommes et singes. Alors même que depuis longtemps elle méprise et maltraite celui qui, en une minute, s'est transformé en «un singe mâle, au poil vert et au visage bleu, recroquevillé et tremblant de tous ses membres», sa femme passe par toute une palette de sentiments face à l'événement. Dans un chapitre justement intitulé «Savoureux», l'auteur tire le fil de notre ressemblance avec nos cousins simiesques : la métamorphose peut-elle s'inverser ? La femme doit-elle craindre que son singe de mari ne se jette sur elle et qu'elle donne «naissance à un petit singe tout velu» ? Si un policier tire sur la bête, commet-il un meurtre ? Pourquoi l'enfant n'est-il pas perturbé par la métamorphose ? Décidément, la littérature, grâce à la fluidité de l'imagination, attrape bien mieux la vie que les sciences sociales, dont le droit, avec leur manie - inévitable - des catégories.